Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/352

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En effet, une femme aveugle et déjà âgée, conduite par une petite fille de cinq ans, venait de paraître à l’angle d’une maison, et entrait dans la rue principale.

Le voyageur, au lieu d’obéir à l’impatient appel de l’enfant, demeura immobile, et contempla avec douleur la pauvre aveugle qui s’avançait lentement dans le lointain. Était-ce là sa Rosa chérie ? Était-ce là la belle et gracieuse jeune fille dont l’image était encore empreinte dans son cœur, si jeune et si charmante ?

Mais cette hésitation disparut en un instant ; il entraîna l’enfant, et courut au-devant de son amie. Lorsqu’il ne fut plus qu’à cinquante pas d’elle, il ne put se contenir davantage, et le nom de : Rosa ! Rosa ! s’échappa de sa poitrine comme un indicible cri de joie.

En entendant cette voix, l’aveugle retira sa main de celle de son guide, et se mit à trembler comme si elle eût eu une attaque de nerfs. Elle tendit les bras en avant comme pour chercher, et répondit par le cri de : Jean ! Jean ! en courant tout droit vers celui qui l’avait appelée. En même temps elle tirait quelque chose de son sein, brisait le cordon qui entourait son cou, et montrait d’un geste incertain une petite croix d’or.

Elle tomba ainsi dans les bras de Jean Slaets, qui voulut l’embrasser en murmurant d’inintelligibles paroles. Mais l’aveugle le repoussa doucement de son chemin avec les mains. Et comme ce refus le touchait péniblement, elle prit sa main et dit :

— Jean, Jean, je vais mourir de bonheur… Mais j’ai fait une promesse à Dieu. Viens, viens avec moi ; mène-moi au cimetière !