Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/401

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— Vous ne me croirez pas, Cécile ; mais je suis aussi comme cela ; j’ai toujours été comme cela.

— Vous ? fit la jeune fille avec incrédulité.

— Ah ! Cécile, dit-il en soupirant, je souffre d’être forcé de vous révéler le secret de toute ma conduite. J’aime extrêmement l’oncle Jean ; le seul but de ma vie n’était autre, jusqu’à présent, que d’adoucir les dernières années de mon bienfaiteur, et de détourner de lui tout chagrin autant que possible. Vous qui êtes femme et toute naïve, vous ne pouvez comprendre qu’on fasse le moindre mal pour obtenir un plus grand bien. C’est cependant ce que j’ai toujours fait. L’oncle Jean est avare ; son argent, c’est son âme. Je ne l’accuse pas, Cécile. C’est une faiblesse de son âge. Contredire l’oncle Jean sur ce point ou contrarier sa passion, ce serait rendre sa vie amère et abréger ses jours. Eh bien, qu’ai-je fait par affection pour lui ? Je me suis fait avare, ou du moins j’ai feint de l’être ; je me suis contenté d’une chétive et mauvaise nourriture, j’ai souffert de la faim et du froid, et passé les jours entiers à languir dans cette demeure triste comme une tombe. Oui, oui, Cécile, mon cœur saignait à la vue d’un pauvre, et je le jetais à la porte ; j’aspirais ardemment au bonheur de vivre avec de bons amis, et j’ai laissé passer les plus belles années de ma vie dans un morne isolement ; je vous aime comme la chaste image de la vertu pure et ingénue, et cependant je vous réprimandais avec aigreur, avec rudesse parfois. Pourquoi tout cela ? Ah ! comprenez-le, Cécile ! N’était-ce pas pour complaire à l’oncle Jean et pour consoler sa pénible vieillesse ?