Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jeannette avait sa part de toutes ces jouissances ; elle en profitait insoucieusement et se réjouissait comme un enfant de la félicité des autres.

La vieille mère était choyée et aimée ; dans chaque regard de ses enfants elle voyait rayonner le bonheur, et à coup sûr elle n’eût pas voulu échanger sa destinée contre celle de la dame du château.

Véritablement la ferme de la Chapelle était un paradis sur la terre.

Il n’en était pas de même du sombre couvant. Depuis le départ de Cécile, l’habitation de l’oncle Jean était devenue si vide et si morne, qu’à voir cet édifice muet et désolé au milieu des arbres, on l’eût cru frappé de la malédiction divine.

Les laboureurs qui travaillaient aux champs dans les environs ne voyaient pas la porte s’ouvrir une seule fois en deux jours. La mystérieuse demeure, avec ses murs lézardés et ses carreaux brisés, leur inspirait une inquiète terreur, et les plus courageux d’entre eux eussent seuls osé prendre le soir le chemin qui l’avoisinait.

Deux fois déjà l’oncle Jean n’était pas venu à l’église le dimanche. À tous ceux qui lui demandaient des nouvelles du vieillard, Mathias répondait que la goutte l’obligeait à garder le lit.

Quoiqu’on sût que l’oncle Jean avait en effet souffert autrefois de cette maladie, on doutait néanmoins que l’explication de Mathias fût vraie. D’ailleurs, comme on haïssait l’oncle Jean à cause de son avarice, personne ne parut s’inquiéter de lui, sauf Cécile seule, qui, à la nouvelle de sa maladie, avait pleuré amèrement.