Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/500

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n’auras rien, toi ! rien que ma malédiction ! Demain je ferai appeler Cécile, le notaire, des témoins… et des gendarmes pour te mener en prison. Je t’accuserai, je te ferai punir comme tu le mérites… Ah ! tu croyais que j’étais mort ? Tu verras…

— Ah ! ah ! dit Mathias avec un amer dédain, personne ne vous entendra.

— Demain il fera jour, répondit l’oncle Jean ; j’appellerai et je crierai si longtemps et si obstinément que quelqu’un finira par m’entendre.

Mathias, sans parler, arrêta un regard fixe sur les yeux du vieillard, dont les dernières paroles semblaient avoir fait sur lui une profonde impression. D’abord sa physionomie, devenue sérieuse, attestait une grave méditation. Peu à peu ses lèvres se retroussèrent et reprirent leur ignoble sourire, et il s’approcha du lit. Il écarta la table, se posta de nouveau devant le vieillard les bras croisés, et l’apostropha ainsi d’un ton railleur :

— Votre folie me fait rire. Vous croyiez donc que j’ai vécu ici dix ans comme un esclave, que pendant dix ans je vous ai flatté comme un chien… par affection pour vous ? Vous croyiez que, dix années durant, j’ai accepté une nourriture bonne à jeter aux porcs… par goût ? Vous vous imaginiez que j’ai passé les dix plus belles années de ma vie dans cette affreuse solitude… parce que je n’aime pas la vie ? Vous croyiez que j’ai fait l’hypocrite, que j’ai trompé, calomnié, et tout ce que vous voudrez encore… sans but et sans espoir de récompense ? Vous m’estimiez donc plus naïf et plus stupide qu’un enfant ? Non, non, si je vous ai sacrifié ma vo-