Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/528

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qu’il laisse couler, même dans le cœur glacé de l’homme désenchanté, la bienfaisante source du souvenir.

Devant la porte de la vieille auberge, je me trouvai reporté comme par magie dans des temps meilleurs. Je revoyais mes camarades, mes officiers ; le tambour battait au loin ; j’entendais retentir le martial commandement ; l’entraînante chanson de guerre s’élevait au-dessus des humbles et rustiques demeures, le cornet des chasseurs résonnait à l’ombre des tilleuls… mais au milieu de tout cela m’apparaissait, plus nette et plus précise encore, la calme et angélique image de Lisa me souriant du fond du passé.

La pensée humaine parcourt le monde des souvenirs avec plus de rapidité que l’éclair les espaces des cieux. À peine m’étais-je arrêté une minute, et déjà cinq beaux mois de ma vie avaient repassé tout éclatants sous mes yeux.

Je m’avançai vers l’auberge en doublant le pas, l’âme empressée, le front joyeux… — Je vais voir Lisa, me disais-je ; elle ne pourra me reconnaître, je le sais, car l’enfant doit être devenue une belle jeune fille, mais rien que sa vue me réjouira… Elle était malade et languissante ; peut-être gît-elle sous la terre dans le paisible cimetière ! Loin de moi cette lugubre pensée que la froide raison vient jeter au milieu de mes ardents souvenirs !

Mais comme tout me semble étranger et triste dans l’auberge de Saint-Sébastien ! Tout est changé, hommes et choses. Où est baes Gansendonck ? Où est Lisa ? Où est la table à tiroir sur laquelle j’ai joué avec mes