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I


Quand néant devient quelque chose, néant ne se reconnaît plus lui-même.



Baes Gansendonck était un singulier homme. Bien qu’il fût issu d’une des plus humbles familles du village, il s’était de bonne heure mis en tête qu’il était d’étoffe beaucoup plus noble que les autres paysans, — que lui seul en savait plus qu’une foule de savants réunis, — que si les affaires de la commune s’embrouillaient et marchaient à reculons, c’était uniquement parce que, malgré sa haute intelligence, il n’était pas bourgmestre, — et beaucoup d’autres choses du même genre.

Et cependant le pauvre homme ne savait ni lire ni écrire, et n’avait jamais eu occasion d’oublier grand’chose… mais il avait beaucoup d’argent !

Sous ce rapport du moins il ressemblait à beaucoup de personnes considérables dont l’esprit se trouve aussi sous clef dans un coffre-fort, et dont la sagesse, placée à cinq pour cent, rentre chaque année dans leur cervelle avec les intérêts. Les habitants du village, blessés chaque jour par l’orgueilleuse suffisance de baes Gansendonck, avaient peu à peu conçu une haine profonde contre lui, et lui donnaient le sobriquet railleur de blaeskaek[1].

Le baes du Saint-Sébastien était veuf et n’avait qu’un enfant. C’était une fille de dix-huit ou dix-neuf ans ; bien qu’elle fût délicate et pâle, les traits de son

  1. Vantard, fanfaron, hâbleur ; prononcez blâskâk.