Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/534

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sait continuellement son esprit. Afin de s’affermir dans l’opinion qu’il avait de l’excellence de sa nature, il s’était souvent efforcé de découvrir quelle différence il pouvait y avoir entre un gentilhomme et lui ; mais en réalité, il n’en trouvait pas.

Sa conscience lui disait bien de temps en temps qu’il était trop vieux pour apprendre le français, pour changer toute sa manière de vivre, et faire son entrée dans une société plus élevée. Mais s’il ne le pouvait plus, sa fille du moins était en état de monter en rang dans le monde et d’épouser le meilleur d’entre les premiers barons. Quelle heureuse certitude pour baes Gansendonck ! Avant de mourir il aurait le plaisir d’entendre nommer sa Lisa, madame la baronne ! Lui-même serait grand’père de quelques petits barons !

On comprend que l’amour de Karel le brasseur commençât dès lors à le contrarier vivement, et qu’il accusât, dans son for intérieur, le joyeux garçon d’être un obstacle à l’avenir de sa fille. Déjà il avait parlé de Karel en présence de Lisa avec une méprisante aigreur, et dit des choses qui avaient tellement blessé la jeune fille que, pour la première fois de sa vie elle s’était révoltée avec dépit contre son père et avait versé des larmes amères au moins pendant deux heures.

Pour ne pas affliger sa fille, il s’abstint de toute attaque directe contre l’amour du brasseur, mais il se promit bien de retarder le mariage par des expédients jusqu’à ce que le temps vint arracher à Lisa le bandeau qui l’aveuglait, et qu’elle-même se convainquit que Karel n’était rien qu’un grossier paysan comme les autres.