Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/573

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Il court toutes sortes de bruits singuliers sur le compte de mademoiselle Lisa. Les gens parlent d’elle comme les juifs du lard.

— Le blaeskaek n’aura que ce qu’il mérite, et cette coquette poupée à la mode aussi. Celui qui joue avec le chat attrape des coups de griffes, dit le proverbe.

— Et le malheureux Karel qui est assez sot pour s’en faire du chagrin. Je la laisserais joliment filer avec son baron !

— Voilà Karel qui vient là-bas ! dit un des jeunes gens, qui se tenait près de la porte. Même à cette distance, on voit qu’il est triste ; il marche le menton sur la poitrine, comme s’il cherchait des épingles. On dirait qu’il porte sur le dos la bêche qui doit creuser sa fosse.

Tous passèrent la tête dehors, et regardèrent Karel qui suivait lentement le chemin, les yeux baissés, songeur et distrait.

Sus jeta violemment son marteau contre l’enclume, comme si une soudaine colère s’était emparée de lui.

— Que te prend-il donc ? demandèrent les autres.

— Quand je vois Karel, mon sang bout ! s’écria Sus ; je consentirais à rester toute une année sans voir une pinte de bière, si je pouvais entre quatre yeux forger à tour de bras sur le dos du blaeskaek ! L’orgueilleux lourdaud ! Par ses sottes lubies, il perdra l’honneur de sa fille : après ça, il en est le maître, et elle ne mérite guère mieux, l’écervelée ! Mais qu’il fasse dépérir de chagrin mon ami Karel, et qu’il le pousse dans la fosse… un garçon fort comme un chêne, riche, instruit, et d’un excellent cœur, qui vaut cent blaeskaek et cent coquettes