Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/575

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l’établi, tourna la vis de l’étau d’un air rêveur, et prit en main avec distraction les outils les uns après les autres, tandis que les jeunes paysans le contemplaient avec curiosité et compassion.

Assurément une douleur sans répit devait consumer Karel ; en si peu de temps, il était déjà très-changé. Son visage était d’une pâleur blême, ses yeux sans éclat erraient autour de lui ou se fixaient opiniâtrément sur des objets insignifiants ; ses joues étaient creuses et amaigries. Tout dans son attitude trahissait l’affaissement et la négligence ; ses vêtements n’étaient plus propres comme jadis, ses cheveux tombaient en désordre sur son cou.

— Eh bien, Karel, s’écria Sus, vous entrez encore ici comme la lumière du soleil, sans parler. Allons, allons, jetez ces vilaines pensées par-dessus la haie, et songez que vous valez mieux que ceux qui vous chagrinent ! Faites une croix dessus et buvez une bonne pinte ; toute votre tristesse ne donnera pas d’esprit au blaeskaek ! Et quant à sa charmante fille, vous n’en ferez jamais autre chose qu’une…

Un frémissement et un regard perçant de Karel arrêtèrent le mot sur les lèvres du forgeron.

— Oui, reprit-il, je sais que je ne puis toucher à cela ; vous ressemblez aux mauvais malades qui ne veulent pas du médecin ou jettent les fioles par la fenêtre ; mais peu importe, il y a trop longtemps que ces folles lubies durent. Savez-vous ce que dit le blaeskaek ? Il dit que mademoiselle Lisa va se marier avec monsieur Van Bruinkasteel, se marier devant la loi et l’église.