Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/603

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Depuis longtemps déjà, le jeune homme se trouvait dans ce lieu solitaire ; il ignorait lui-même comment et pourquoi il y était venu. Tandis que, la tête pleine de désolantes rêveries, il errait, distrait, à travers champs, son cœur l’avait conduit de ce côté pour l’abreuver d’un fiel plus amer encore. Il était là maintenant comme une statue inanimée, le regard opiniâtrément fixé sur la demeure du baron, et trahissant seulement de temps en temps la vie par un triste sourire ou un frémissement convulsif. Son âme était à la torture : grâce à son imagination tourmentée, il perçait à travers les murailles derrière lesquelles devait se trouver Lisa ; il la voyait assise à côté du baron ; il entendait des déclarations d’amour, de galantes et séductrices paroles ; il surprenait de lascives œillades, et voyait baes Gansendonck s’efforcer de faire taire la pudeur de sa fille, et alors… alors la faible Lisa ne savait plus que faire, elle laissait le baron lui prendre la main et attacher sur elle le regard profanateur du désir !

Pauvre Karel ! il perdait son propre cœur de mille blessures, et forçait son imagination surexcitée à fouiller la plaie pour lui faire vider jusqu’à la lie le calice de douleur.

Après s’être longtemps perdu dans ces tristes et douloureuses rêveries, il tomba dans une sorte de sommeil de l’esprit. Ses nerfs se détendirent, ses traits n’accusèrent plus que l’indifférence de l’épuisement, sa tête s’affaissa sur son sein, et ses yeux, à demi fermés, se fixèrent sur la terre. Soudain le son de quelques lointains accords, auxquels se mariaient les accents d’une