Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/604

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voix d’homme affaiblie par la distance, vinrent frapper son oreille.

Quelque peu distinct que fût ce chant, il agit puissamment sur l’âme du jeune homme. Tremblant de tous ses membres, la soif de la vengeance peinte sur les traits, il bondit comme si un serpent l’eût mordu. Un ardent éclair rayonna dans ses yeux, ses lèvres crispées laissèrent ses dents à découvert, ses doigts craquèrent, tant il serrait les poings avec fureur. Il connaissait ce chant exécré, ce chant qui, comme une voix infernale, avait, un matin, fait entendre à l’oreille de Lisa le langage du désir et de la volupté. Elles brûlaient encore son cœur, ces odieuses paroles que la bouche de Lisa avait renvoyées comme un écho au séducteur.

Dans son désespoir, le jeune homme brisait les jeunes branches de chênes, et de rauques exclamations s’échappaient de sa gorge contractée…

Le ton du chant s’éleva, les paroles devinrent plus saisissables ; les mots : Je vous aime ! montèrent jusqu’au taillis, et le baron y mettait tant de feu, tant de sentiment, qu’il était impossible qu’il ne s’adressât pas directement à Lisa.

Tout hors de lui, ne sachant ce qu’il allait faire, Karel s’élança dans le fossé, gravit l’autre bord, et disparut sous l’épais feuillage d’un massif de coudriers qui s’étendait au bord d’une large allée. En se cachant toujours, il se glissa comme une bête fauve à travers le massif, jusqu’à ce qu’il approchât d’un sombre dôme de feuillage. Les branches de deux haies de charmes plantées à peu de distance l’une de l’autre avaient été courbées