Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tandis que Lisa épuisait lentement le calice amer de la honte et du remords, Kobe, seul et immobile aussi, était assis auprès du foyer de l’auberge.

Il tenait sa pipe à la main, mais ne fumait pas ; de profondes réflexions, de tristes pensées semblaient l’absorber. Sa physionomie avait une expression tout autre que celle qui lui était habituelle ; c’était un mélange d’amertume, de reproche, voire de hauteur. Ses lèvres se remuaient comme s’il eût parlé, et la flamme de la colère étincelait par moments dans ses yeux.

Soudain il lui parut entendre la voix de baes Gansendonck ; un sourire de pitié contracta sa bouche, mais cette marque de compassion disparut aussitôt, et ses traits ne trahirent plus que l’amertume et le chagrin.

À mesure que le baes approchait de la porte de derrière de l’auberge, le domestique l’entendait grommeler et se répandre en invectives contre des gens qui devaient l’avoir injurié ; mais Kobe ne pouvait comprendre encore contre qui ou contre quoi le baes était monté ; cela parut, en tout cas, lui être fort indifférent, car il ne bougea pas et resta assis sous le manteau de la cheminée.

Le baes entra brusquement dans l’auberge, frappant du pied comme un furieux, et donnant des coups de fourche aux chaises comme si celles-ci l’avaient offensé aussi :

— Cela va trop loin, oui, positivement trop loin ! s’écria-t-il. Un homme comme moi ! Comment, en pleine rue, ils oseront me montrer le poing, me poursuivre de leurs cris, me huer, me traiter de coquin… d’âne !… Pense un peu. Kobe, ne faut-il pas qu’ils soient possédés