Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/85

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intérieurement chaque fois que le négociant vidait son verre. Le laquais, sur l’ordre de son maître, apporta la seconde bouteille ; monsieur de Vlierbecke, pour modérer la soif de son hôte, commença à laisser peu à peu tomber la conversation ; car il avait remarqué que le négociant ne pouvait parler longtemps sans boire. Toutefois il s’était trompé ; car M. Denecker amena l’entretien sur le vin lui-même, se mit à porter aux nues cette généreuse liqueur, et manifesta son étonnement de l’incompréhensible sobriété du gentilhomme. En même temps il buvait plus encore qu’auparavant, et Gustave le secondait, bien que dans une moindre mesure.

L’angoisse du gentilhomme croissait chaque fois que le négociant portait le verre à ses lèvres, et bien qu’il en ressentit un vif déplaisir, il s’abstint de faire raison à son hôte, et fut au moins impoli dans la crainte de se voir exposé à une confusion plus grande.

La seconde bouteille fut aussi bientôt vide. Le négociant dit d’un ton délibéré à M. de Vlierbecke qui, le cœur serré, épiait avec anxiété tous ses mouvements, bien qu’il se montrât toujours joyeux et souriant :

Oui, monsieur de Vlierbecke, ce vin est vieux et excellent : je le reconnais ; mais, en fait de vins, il faut changer, sans cela le bouquet se perd. Je dois supposer que vous avez une bonne cave, à en juger par le premier échantillon. Faites-nous donc donner une bouteille de château-margaux ; et, si nous en avons le temps, nous terminerons notre entrevue par un coup de hochheimer. Je ne bois jamais de champagne, c’est un mauvais vin pour les vrais amateurs.