Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/86

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Aux dernières paroles du négociant, une subite pâleur se répandit sur le visage de monsieur de Vlierbecke ; mais, pour dissimuler la terrifiante émotion qui l’accablait, il couvrit de la main son front et ses yeux, et demanda à son esprit une rapide inspiration qui le sauvât de la perplexité où il se trouvait.

Lorsque son hôte eut cessé de parler, il découvrit son visage ; un calme sourire y paraissait seul. Du château-margaux ? demanda-t-il. Comme vous voudrez, monsieur Denecker. Et se tournant vers le domestique :

Jean, dit-il, une bouteille de château-margaux ! à gauche, dans le troisième caveau…

Le jeune paysan regarda son maître, bouche béante, comme si on lui eût parlé une langue inconnue, et murmura quelques mots inintelligibles.

Excusez-moi ! dit le gentilhomme en se levant, il ne la trouverait pas. Un instant !

Il descendit l’escalier, entra dans la cuisine, y prit la troisième bouteille préparée, et se rendit à la cave.

Là, seul, il s’arrêta, et reprit haleine en se disant à lui-même :

Château-margaux ! hochheimer ! champagne ! Et rien que cette dernière bouteille de bordeaux ! Que faire ? Pas de temps pour réfléchir ! Le sort en est jeté, que Dieu me vienne en aide !

Il remonta l’escalier, et reparut souriant dans la salle à manger, le tire-bouchon planté sur l’unique bouteille. Pendant son absence, Lénora avait fait changer les verres.