Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/87

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Ce vin a vingt ans d’âge au moins ; j’espère qu’il vous plaira, dit le gentilhomme tandis qu’il remplissait les verres et épiait de côté sur le visage du négociant reflet de son stratagème.

À peine celui-ci eut-il porté les lèvres à son verre, qu’il l’éloigna et s’écria d’un ton désappointé :

— Il y a méprise, sans doute ; c’est le même vin !

Monsieur de Vlierbecke, feignant la surprise, goûta le vin à son tour, et dit :

— En effet, je me suis trompé. Mais la bouteille est débouchée ; si nous la vidions d’abord ? Nous en avons le temps.

— Comme il vous plaira ! répondit le négociant, à condition toutefois que vous me secondiez mieux. Nous nous hâterons un peu.

Le vin décrut aussi peu à peu dans la troisième bouteille, jusqu’à ce qu’il n’y restât plus que deux ou trois verres.

Le gentilhomme ne put cacher plus longtemps son émotion ; il détournait bien la vue de la bouteille, mais son regard s’y reportait chaque fois avec une anxiété plus profonde. À son oreille résonnait déjà le terrible mot : Château-margaux ! qui devait le couvrir de honte ; une sueur froide inondait son visage, dont la couleur changeait plusieurs fois en un instant. Mais il n’était pas encore à bout de ressources, et, comme un vaillant soldat, il luttait jusqu’au bout contre l’humiliation qui s’approchait. Il s’essuyait le front et les joues avec son mouchoir ; il toussait, il se détournait comme pour éternuer. Grâce à ces manœuvres, son trouble échappa à