Aller au contenu

Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

injustice, ont trouvé révoltant qu’une femme dont Napoléon abîmait la vie jugeât Napoléon un peu sévèrement. Ils pensent que tout l’univers doit prendre fait et cause parce qu’on leur refuse une pension qu’ils disent leur être due ; mais ils s’indignent que la victime de l’exil le plus dur, le plus arbitraire, je dirai le plus ignoble, car rien n’est plus ignoble que la force brutale s’acharnant sur le génie désarmé, ne se soit pas résignée au despotisme qui l’arrachait aux lieux de sa naissance et la séparait de tous les objets de son affection : et si l’on réfléchit que le seul crime de cette femme qu’il rendait si malheureuse était une conversation animée et brillante, et que celui qui la poursuivait disposait d’une autorité sans bornes, faisait mouvoir d’un mot huit cent mille soldats, avait trente millions de sujets et quarante millions de vassaux, on ne peut se défendre d’une indignation mêlée de pitié pour un pouvoir si timide d’une part et si violent de l’autre. mme de Staël, dit-on, inquiétait Napoléon sur son trône par l’entraînante impétuosité de ses émotions généreuses. Mais nous inquiétons tous l’autorité d’aujourd’hui par nos réclamations légitimes et nos plaintes fondées ; est-ce à dire que nous lui accorderons la faculté de nous exiler ? Il faut reconnaître à tous les droits qu’on revendique pour soi ; il ne faut pas se croire le seul objet digne d’intérêt, et lorsqu’on aspire à l’honneur de lutter contre