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BABIOLE.

avait déjà quatre ans qu’elle était chez la reine lorsqu’elle commença un jour à bégayer comme un enfant qui veut dire quelque chose ; tout le monde s’en étonna, et ce fut bien un autre étonnement quand elle se mit à parler avec une petite voix douce et claire, si distincte que l’on n’en perdait pas un mot. Quelle merveille ! Babiole parlant, Babiole raisonnant ! La reine voulut la ravoir pour s’en divertir ; on la mena dans son appartement, au grand regret du prince ; il lui en coûta quelques larmes, et, pour le consoler, on lui donna des chiens, des chats, des oiseaux, des écureuils, et même un petit cheval, appelé Criquetin, qui dansait la sarabande ; mais tout cela ne valait pas un mot de Babiole.

Elle était, de son côté, plus contrainte chez la reine que chez le prince ; il fallait qu’elle répondît comme une sibylle à cent questions spirituelles et savantes, dont elle ne pouvait quelquefois se bien démêler. Dès qu’il arrivait un ambassadeur ou un étranger, on la faisait paraître avec une robe de velours ou de brocart, en corps et en collerette ; si la cour était en deuil, elle traînait une longue mante et des crêpes qui la fatiguaient beaucoup ; on ne lui laissait plus la liberté de manger ce qui était de son goût : le médecin en ordonnait, et cela ne lui plaisait guère ; car elle était volontaire comme une guenuche née princesse.

La reine lui donna des maîtres qui exercèrent bien la vivacité de son esprit ; elle excellait à jouer du clavecin : on lui en avait fait un merveilleux dans une huître à l’écaille ; il venait des peintres des quatre parties du monde, et particulièrement d’Italie pour la peindre. Sa renommée volait d’un pôle à l’autre ; car on n’avait point encore vu une guenon qui parlât.

Le prince, aussi beau que l’on représente l’Amour, gracieux et spirituel, n’était pas un prodige moins extraordinaire ; il venait voir Babiole ; il s’amusait quelquefois avec elle ; leurs conversations, de badines et d’enjouées, devenaient quelquefois sérieuses et morales. Babiole avait un cœur, et ce cœur n’avait pas été métamorphosé comme le reste de sa petite personne : elle prit donc de la tendresse pour le prince, et il en prit si fort, qu’il en prit trop. L’infortunée Babiole ne savait que faire ; elle passait les nuits sur le haut d’un volet de fenêtre, ou sur le coin d’une cheminée, sans vouloir entrer dans son panier ouaté, plumé, propre et mollet. Sa gouvernante (car elle en avait une) l’entendait souvent soupirer et se plaindre quelquefois. Sa mélancolie augmenta comme sa raison, et elle ne se voyait jamais dans un miroir que, par