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BABIOLE.

elle regretta sa peau de guenuche ; elle vivait comme les caméléons, de l’air et de la rosée.

La prison de l’infante n’était connue de personne ; le jeune prince l’ignorait. Il n’était pas mort et demandait sans cesse Babiole. Il s’apercevait assez, par la mélancolie de tous ceux qui le servaient, qu’il y avait un sujet de douleur générale à la cour ; sa discrétion naturelle l’empêcha de chercher à le pénétrer ; mais lorsqu’il fut convalescent, il pressa si fort pour qu’on lui dit des nouvelles de la princesse, que l’on n’eut pas le courage de lui céler sa perte. Ceux qui l’avaient vue entrer dans le bois soutenaient qu’elle y avait été dévorée par les lions, et d’autres croyaient qu’elle s’était tuée de désespoir, d’autres encore, qu’elle avait perdu l’esprit et qu’elle allait errante par le monde.

Comme cette dernière opinion était la moins terrible et qu’elle soutenait un peu l’espérance du prince, il s’y arrêta et partit sur le Criquetin dont j’ai déjà parlé ; mais je n’ai pas dit que c’était le fils aîné de Bucéphale et l’un des meilleurs chevaux qui se soient vus dans ce siècle-là. Il lui mit la bride sur le cou et le laissa aller à l’aventure. Il appelait l’infante, les échos seuls lui répondaient.

Enfin il arriva au bord d’une grosse rivière. Criquetin avait soif : il y entra pour boire, et le prince, selon sa coutume, se mit à crier de toute sa force : « Babiole, belle Babiole, où êtes-vous ? »

Il entendit une voix, dont la douceur semblait réjouir l’onde ; cette voix lui dit : « Avance, et tu sauras où elle est. » À ces mots, le prince aussi téméraire qu’amoureux, donne deux coups d’éperon à Criquetin ; il nage et trouve un gouffre où l’eau plus rapide se précipitait. Il tomba jusqu’au fond, bien persuadé qu’il s’allait noyer.

Il arriva heureusement chez le bonhomme Biroqua, qui célébrait les noces de sa fille avec un fleuve des plus riches et des plus graves de la contrée. Toutes les déités poissonneuses étaient dans sa grotte ; les Tritons et les Sirènes y faisaient une musique agréable, et la rivière Biroquie, légèrement vêtue, dansait les olivettes avec la Seine, la Tamise, l’Euphrate et le Gange, qui étaient assurément venus de fort loin pour se divertir ensemble. Criquetin, qui savait vivre, s’arrêta fort respectueusement à l’entrée de la grotte, et le prince, qui savait encore mieux vivre que son cheval, faisant une profonde révérence, demanda s’il était permis à un mortel comme lui de paraître au milieu d’une si belle compagnie.

Biroqua prit la parole et répliqua d’un air affable qu’il leur faisait