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BABIOLE.

venait la délivrer. Elle n’aurait pas cru cette aventure possible, si elle n’eût su, par sa propre expérience, que les choses les plus extraordinaires se rendent familières pour certaines personnes. « Serait-ce bien par la malice de quelque fée, disait-elle, que ce chevalier est transporté dans les airs ? Hélas ! que je le plains, s’il faut qu’une bouteille ou une carafe lui serve de prison comme à moi !  »

Pendant qu’elle raisonnait ainsi, les géants, qui aperçurent le prince au-dessus de leurs têtes, crurent que c’était un cerf-volant, et s’écrièrent l’un à l’autre : « Attrape ! attrape la corde ! cela nous divertira. » Mais lorsqu’ils se baissèrent pour la chercher, il fondit sur eux, et d’estoc et de taille il les mit en pièces comme un jeu de cartes que l’on coupe par la moitié et que l’on jette au vent. Au bruit de ce grand combat, l’infante tourna la tête : elle reconnut son jeune prince. Quelle joie d’être certaine de sa vie ! mais quelles alarmes de le voir dans un péril si évident, au milieu de ces terribles colosses et des dragons qui s’élançaient sur lui ! Elle poussa des cris affreux, et le danger où il était pensa la faire mourir.

Cependant l’arête enchantée, dont Biroqua avait armé la main du prince, ne portait aucuns coups inutiles, et le léger dauphin, qui s’élevait et qui se baissait fort à propos, lui était aussi d’un secours merveilleux ; de sorte qu’en très-peu de temps la terre fut couverte de ces monstres.

L’impatient prince, qui voyait son infante au travers du verre, l’aurait mis en pièces, s’il n’avait pas appréhendé de l’en blesser : il prit le parti de descendre par le goulot de la bouteille. Quand il fut au fond, il se jeta aux pieds de Babiole et lui baisa respectueusement la main. « Seigneur, lui dit-elle, il est juste que pour ménager votre estime, je vous apprenne les raisons que j’ai eues de m’intéresser si tendrement à votre conservation. Sachez que nous sommes proches parents, que je suis fille de la reine votre tante, et la même Babiole que vous trouvâtes sous la figure d’une guenuche au bord de la mer et qui eut depuis la faiblesse de vous témoigner un attachement que vous méprisâtes. — Ah ! madame, s’écria le prince, dois-je croire un événement si prodigieux ? Vous avez été guenuche ; vous m’avez aimé, je l’ai su, et mon cœur a été capable de refuser le plus grand de tous les biens ! — J’aurais, à l’heure qu’il est, très-mauvaise opinion de votre goût, répliqua l’infante en souriant, si vous aviez pu prendre alors quelque attachement pour moi. Mais, seigneur, partons, je suis lasse d’être prisonnière, et je crains