Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/440

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Camarade, qui ne manquait ni d’esprit, ni de prévoyance, avertit le chevalier qu’il était bon de défendre à tous ses gens de se vanter des dons extraordinaires qu’ils avaient. Il ne différa point à les appeler, et leur dit : écoutez, Forte-échine, Léger, le bon Tireur, Fine-oreille, Impétueux, Trinquet et Grugeon, je vous avertis que si vous me voulez plaire, vous gardiez un secret inviolable sur les talents que vous avez ; et je vous assure que j’aurai tant de soin de vous rendre heureux, que vous serez content. Chacun lui promit avec serment d’être fidèle à ses ordres, et peu après le chevalier, plus paré de sa beauté et de sa bonne mine que de son magnifique habit, entra dans la ville capitale, monté sur son excellent cheval, et suivi des gens du monde les mieux faits. Il ne tarda pas à leur faire faire des habits de livrée tous chamarrés d’or et d’argent ; il leur donna des chevaux, et s’étant logé dans la meilleure auberge, il attendit le jour marqué pour paraître à la revue ; mais l’on ne parlait plus que de lui dans la ville, et le roi, prévenu de sa réputation, avait fort envie de le voir.

Toutes les troupes s’assemblèrent dans une grande plaine, et le roi y vint avec la reine douairière, sa sœur et toute leur cour ; elle ne laissait pas d’être encore pompeuse, malgré les malheurs qui étaient arrivés à l’état, et Fortuné fut ébloui de tant de richesses. Mais si elles attirèrent ses regards, son incomparable beauté n’attira pas moins ceux de cette célèbre troupe ; chacun demandait qui était ce chevalier si bien fait, et le roi, passant proche du lieu où il était, lui fit signe de s’approcher.

Fortuné aussitôt descendit de cheval, pour faire une profonde révérence au roi ; il ne put s’empêcher de rougir, voyant avec quelle attention il le regardait ; cette nouvelle couleur releva encore l’éclat de son teint. Je suis bien aise, lui dit le roi, d’apprendre par vous-même qui vous êtes, et votre nom. Sire, répliqua-t-il, je m’appelle Fortuné, sans avoir eu jusqu’à présent aucunes raisons de porter ce nom ; car mon père qui est comte de la Frontière, passe la vie dans une grande pauvreté, quoiqu’il soit né avec autant de biens que de naissance. La fortune qui vous a servi de marraine, répondit le roi, n’a pas mal fait pour vos intérêts, de vous amener ici ; je me sens une affection particulière pour vous, et je me souviens que votre père a rendu au mien de grands services ; je veux les reconnaître en votre personne. C’est une chose juste, ajouta la reine douairière, qui n’avait point encore parlé ; et comme je suis votre aînée, mon frère, et que je sais plus particulièrement que vous