Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/458

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Le jeune ambassadeur ne fit pas un grand effort de mémoire pour retenir son instruction ; il partit sans voir la reine ; elle en parut offensée, mais il avait peu de chose à ménager avec elle : que pouvait-elle lui faire dans sa plus grande colère, qu’elle ne lui fît pas dans les transports de sa plus grande amitié ? Une tendresse de ce caractère lui paraissait la chose du monde la plus redoutable. Sa confidente, qui savait tout le secret, était désespérée contre sa maîtresse de vouloir sacrifier la fleur de toute la chevalerie.

Fortuné prit dans le coffre de maroquin tout ce qui lui était nécessaire pour son voyage : il ne se contenta pas de s’habiller magnifiquement, il voulut que ses sept hommes qui l’accompagnaient fussent très-bien mis : et comme ils avaient tous des chevaux excellents, et que Camarade semblait plutôt voler en l’air que courir sur la terre, ils arrivèrent en peu de temps à la ville capitale où demeurait l’empereur Matapa. Elle était plus grande que Paris, Constantinople et Rome ensemble ; et si peuplée que les caves, les greniers et les toits étaient habités.

Fortuné demeura bien surpris de voir une ville d’une si prodigieuse étendue. Il fit demander audience à l’empereur, et l’obtint sans peine ; mais quand il lui eut déclaré le sujet de son ambassade, bien que ce fut avec une grâce qui ajoutait beaucoup à ses raisons, l’empereur ne put s’empêcher d’en sourire. Si vous étiez à la tête de cinq cent mille hommes, lui dit-il, l’on pourrait vous écouter ; mais l’on m’a dit que vous n’en aviez que sept. Je n’ai pas entrepris, seigneur, lui dit Fortuné, de vous faire rendre ce que mon maître souhaite par la force mais par mes très humbles remontrances. Par quelle voie que ce soit, ajouta l’empereur, vous n’en viendrez point à bout, que vous n’exécutiez une pensée qui vient de me venir ; c’est que vous trouviez un homme qui ait assez bon appétit pour manger à son déjeuner tout le pain chaud qu’on aura cuit pour les habitants de cette grande ville. Le chevalier à cette proposition demeura surpris de joie, et comme il ne parlait pas assez promptement, l’empereur éclata de rire : vous voyez, lui dit-il, qu’il est naturel de répondre une extravagance à une proposition extravagante. Seigneur, dit Fortuné, j’accepte ce que vous m’offrez, j’amènerai demain un homme qui mangera tout le pain tendre, et même tout le pain dur de cette ville ; commandez qu’on l’apporte dans la grande place, vous aurez le plaisir de lui voir mettre à profit jusqu’aux miettes. L’empereur répliqua qu’il y consentirait. Il ne fut