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Page:Contes secrets Russes, 1891.djvu/154

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CONTES SECRETS RUSSES

Dieu qui nous a envoyé cette fortune dans notre vieillesse en dédommagement de la pauvreté dont nous avons souffert pendant tant d’années ! À présent, nous allons nous donner du bon temps ! — Non, vieille, » répondit le mari, « cet argent a été trouvé, non par nous, mais par le bouc ; nous devons en conséquence avoir grand soin de lui et veiller à son bien-être avant de nous occuper du nôtre. » Dès lors, les deux époux s’appliquèrent à faire au bouc l’existence la plus heureuse, mais eux-mêmes s’entourèrent aussi de tout le confort possible ; le vieillard en vint à oublier comment on tresse les tilles ; bref, le ménage, à partir de ce moment, vécut dans l’aisance et ne connut plus aucun souci. Au bout de quelque temps, une maladie emporta le bouc. Le mari délibéra avec sa femme sur la conduite à tenir dans cette circonstance. « Si, » dit-il, « nous jetions le bouc aux chiens, nous serions coupables devant Dieu et devant les hommes, car c’est à lui que nous devons notre bonheur. Il vaut mieux que j’aille trouver le pope et que je le prie d’enterrer le bouc chrétiennement, comme on enterre les autres défunts. »

Là-dessus, le vieillard se rendit chez le pope. « Bonjour, batouchka ! » commença-t-il en s’inclinant. — « Bonjour, mon cher ! quelle nouvelle ? — Voici, batouchka, je suis venu pour adresser une prière à Ta Grâce ; il est arrivé chez moi un grand malheur : mon bouc est mort ! Je viens te prier