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Page:Contes secrets Russes, 1891.djvu/166

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CONTES SECRETS RUSSES

arriva au bord de la rivière : « Eh ! batouchka, passe-moi ! » cria-t-il au pope qui se trouvait du côté opposé. — « Est-ce que tu me paieras ton passage, mon cher ? — Je te paierais si j’avais de l’argent, mais je n’en ai pas. — Alors je ne te passerai pas. — Si tu me passes, batouchka, je te montrerai « le rire et le chagrin ». Le pope devint pensif, il eut envie de voir « le rire et le chagrin » ; qu’est-ce que cet homme a voulu dire par là ? se demanda-t-il ; bref, il embarqua, alla prendre le bourlak et le passa de l’autre côté de la rivière. « Eh bien ! batouchka, mets ton bachot sens dessus dessous ! » dit le voyageur. Le pope retourna son canot, curieux de voir ce qui allait arriver. Le bourlak tira de sa culotte un membre remarquablement vigoureux, en frappa le fond du canot et, d’un seul coup, brisa celui-ci en deux. À la vue d’un instrument si bien conditionné, le pope s’était d’abord mis à rire ; mais ensuite, quand il songea à la destruction de son canot, il se sentit si triste que les larmes lui vinrent aux yeux. « Eh bien ! es-tu content de moi, batouchka ? » demanda le bourlak. — « Que le diable t’emporte ! Passe ton chemin ! » Le bourlak dit adieu au pope et s’éloigna.

L’ecclésiastique revint chez lui. En franchissant le seuil de sa demeure, il se rappela le membre du bourlak et se mit à rire, mais à la pensée de son canot il fondit en larmes. « Qu’est-ce que tu as, batouchka ? » interrogea sa femme. — « Tu ne connais pas mon malheur, matouchka, » et il ra-