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Page:Contes secrets Russes, 1891.djvu/168

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CONTES SECRETS RUSSES

le presbytère, la popadia courut à la rencontre du bourlak, se jeta à son cou, l’embrassa : « Ah ! cher frère, qu’il y a longtemps que je ne t’ai vu ! Et comment va-t-on chez vous ? — Comme à l’ordinaire, ma sœur ! Nos parents m’ont envoyé chez toi pour avoir de tes nouvelles. — Eh bien ! nous, mon frère, jusqu’à présent Dieu est indulgent pour nos péchés, nous vivotons. » Elle l’invita à se mettre à table, lui offrit divers hors-d’œuvre, une omelette, de l’eau-de-vie. « Mange, cher frère, » répétait-elle à chaque instant. Le repas fut fort gai et se prolongea jusqu’à la nuit.

Lorsqu’il commença à faire sombre, la popadia dressa un lit et dit à son époux : « Je vais coucher ici avec mon frère, nous causerons de nos parents, des vivants et des morts ; toi, batouchka, tu coucheras seul sur le banc du poêle, ou dans la soupente. » Quand on fut couché, le bourlak assaillit si vigoureusement la popadia qu’elle ne put se contenir et poussa un cri qui retentit dans toute la maison. Le pope l’entendit et demanda : « Qu’est-ce qu’il y a ? — Eh ! batouchka, tu ne connais pas mon malheur : mon père est mort ! — Eh bien ! que Dieu ait son âme ! » observa le pope, et il fit le signe de la croix. Mais bientôt la popadia laissa échapper un nouveau cri encore plus perçant que le premier ; son mari voulut en avoir l’explication : « Pourquoi pleures-tu encore ? — Eh ! batouchka, ma mère est morte aussi ! — Que Dieu lui fasse