Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’ils le toléraient comme leur héritier, comme homme ils ne l’aimaient pas.

En perdant son frère, Francis perdit la seule personne qui sût l’entendre, et qui lui eût jamais témoigné quelque amitié. Il se renferma plus que jamais en lui-même, se livrant à d’amères réflexions sur son isolement, au milieu de l’opulence et des honneurs qui l’attendaient. Si l’on avait pour lui quelques égards, il le devait à son rang ; et il avait assez de pénétration pour s’en apercevoir. Ses visites à ses parents étaient des visites de cérémonie, et ceux-ci n’étaient pas moins pressés de le voir partir, que lui-même ne l’était de retourner dans sa solitude.

L’affection s’éteint à la longue, même dans le cœur d’un jeune homme, lorsqu’elle n’est jamais payée de retour ; et si depuis trois ans la tendresse de Francis pour ses parents n’était pas encore tout à fait anéantie, du moins il ne lui en restait plus qu’une bien faible étincelle.

Il est vrai de dire, quelque affligeante que soit cette vérité, que l’injustice et la dureté peuvent rompre les liens les plus sacrés de la nature ; et ce qu’il y a de plus déplorable, c’est qu’une fois ces liens détruits, lorsque nous avons brisé la chaîne que l’habitude et l’éducation avaient tendue autour de nous, il s’opère une réaction terrible dans nos sentiments, et il est rare que de l’amour nous ne passions pas à la haine. C’est un des devoirs les plus sacrés des parents que de se mettre en garde contre des conséquences aussi terribles ; et quel meilleur moyen de les prévenir que d’apprendre de bonne heure à ses enfants à aimer Dieu, et par suite à étendre cet amour sur toute la grande famille ?

Sir Frédéric et lady Margaret allaient régulièrement à l’église ; ils assistaient aux offices avec beaucoup de décence ; enfin ils avaient tous les dehors de la religion sans avoir au fond aucun sentiment de piété.

De pareilles semences ne pouvaient produire de bons fruits. Francis avait pourtant quelques principes religieux ; mais sa dévotion portait l’empreinte de son caractère : elle était sombre, lugubre et superstitieuse. La prière n’apportait aucun soulagement à ses maux ; s’il priait, c’était dans l’espoir de sortir plus tôt de cette vie de misère. S’il rendait grâce à son Créateur, c’était avec une amertume qui semblait insulter le trône devant lequel il se prosternait. Ce portrait est révoltant, je le sais ; pour-