Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/341

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Cependant Francis était bien loin de lui ressembler. Le colonel Denbigh, pétillant d’esprit, doué des manières les plus gracieuses, était alors l’un des hommes les plus séduisants de l’Angleterre. Marianne le vit, et pour la première fois elle sentit naître dans son cœur un sentiment qu’elle n’avait jamais connu. Jusqu’alors elle avait badiné avec l’amour, elle s’était moquée des soupirs étouffés de ses adorateurs ; mais la comtesse était forcée à son tour de reconnaître sa puissance, et elle se sentit subjuguée en dépit d’elle. L’amour et l’ambition se livraient un combat cruel dans son cœur. George ne tarda pas lui-même à brûler des mêmes feux, et les deux frères devinrent rivaux sans le savoir.

Si George avait soupçonné l’amour de son frère, trop généreux pour soutenir une lutte qui n’était pas égale, il aurait sans doute renoncé dès le principe à une rivalité trop facile. Si de son côté Francis eût su lire dans le cœur de George, il se fût éloigné à l’instant même ; il était accoutumé depuis trop longtemps à le regarder comme au-dessus de lui sous tous les rapports pour chercher un seul instant à lui disputer un cœur qui seul cependant pouvait le réconcilier avec la vie.

Mais Marianne sut nourrir avec adresse les espérances des deux frères, de manière à se réserver la liberté du choix. Indécise elle-même, partagée entre des sentiments opposés, elle les eût peut-être laissés longtemps en suspens, si un événement imprévu n’eût tout à coup dissipé tous les doutes, et décidé le sort de tous les trois.

Le duc de Derwent et celui de ses frères qui n’était point encore marié, après une longue conférence qu’ils eurent ensemble sur le caractère de leur futur héritier, en vinrent à la conclusion qu’ils ne pouvaient faire rien de mieux que de se marier, et ils se mirent chacun à chercher une femme avec la même indifférence qu’ils apportaient aux affaires les plus simples de la vie. Ils jetèrent les yeux sur deux cousines dont l’une était jolie et l’autre riche ; ils poussèrent la bizarrerie jusqu’à les tirer au sort : la jolie échut au duc, et la riche à son frère, ce qui établit entre eux l’équilibre de la fortune, et ils les épousèrent le même jour.

Ce double mariage dépouilla le pauvre Francis de tout son mérite, et lady Pendennyss ne consulta plus que son cœur ; quelques égards plus marqués qu’elle montra pour George amenèrent la déclaration, et il fut accepté.