Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/348

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porte, l’ouvre précipitamment, et là, sous une espèce de hangar qui l’abritait à peine contre la fureur de la tempête, il voit assis sur une pierre, couvert des plus misérables lambeaux, la démence peinte dans tous les traits, le frère qu’il a si longtemps pleuré, Francis.

Les paroles de la complainte étaient trop claires pour avoir besoin d’explication : l’affreuse vérité versait autour de George des torrents de lumière dont il ne pouvait supporter la violence… Il voyait tout… il sentait tout… ; et, se précipitant aux pieds de son frère, il s’écria, saisi d’horreur, en serrant ses mains fortement entre les siennes :

— Francis ! mon cher frère ! ne me reconnaissez-vous pas ?

Le maniaque le regarda d’un air égaré. La voix, les traits de son frère semblaient avoir rallumé dans son âme quelques étincelles de raison. Il se leva, alla droit à lui, et écartant avec la main les cheveux de George, pour voir son front en entier, il le considéra quelques instants en silence ; puis, d’une voix que les faibles souvenirs qui se réveillaient dans son âme rendaient encore plus douce, il se remit à chanter.


       Voilà sa noble chevelure,
Son front, ses traits si doux, son regard enchanteur !…
       Comblé des dons de la nature,
De Marianne, hélas ! il m’a ravi le cœur.
C’est lui !… Mais tout à coup la lumière affaiblie…
       Je ne vois plus rien… tout est noir…
À peine ai-je entrevu le matin de la vie
       Infortuné ! déjà le soir !

   Le soir !… Eh bien ! quel vain délire…
Profitons des instants… et vous qui m’écoutez,
Pourquoi verser des pleurs ! insensés il faut rire…
       Allons, imitez-moi, chantez !


À ces mots, le maniaque laisse retomber la main de son frère ; ses traits se contractent, et il pousse un éclat de rire effroyable.

— Francis ! ô Francis ! mon frère ! s’écria George dans l’amertume de sa douleur. Tout à coup un cri perçant qui retentit jusqu’au fond de son âme lui fait tourner les yeux vers la porte qu’il vient de franchir, et sur le seuil il voit étendue sa femme sans connaissance. Le mari désespéré oublie tout pour ne s’occuper