Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses autres campagnes, le comte voyant, par le spectacle qu’il avait sans cesse sous les yeux, combien est subit et imprévu le passage de la vie à la mort, y était toujours préparé, et la mort l’eût trouvé à tous les instants ferme dans sa foi et ardent dans ses espérances. Mais alors il ne tenait pas au monde par les liens les plus chers et les plus sacrés ; il était isolé et comme perdu dans ce vaste univers. Maintenant l’existence d’Émilie se rattachait à la sienne ; il ne vivait plus pour lui seul ; comment aurait-il pu affronter la mort si la religion ne fût encore venue à son secours, et, cachant d’une main leur séparation momentanée sur la terre, ne lui eût montré de l’autre leur réunion éternelle dans le ciel ?

L’ennemi était trop près pour qu’il ne fût pas nécessaire de redoubler de vigilance sur tous les points des lignes anglaises, et pendant la nuit terrible du 17 juin, le comte et George Denbigh, son lieutenant-colonel, n’eurent d’autre lit qu’un manteau, d’autre abri que le ciel.

Dès que le bruit du canon annonça l’approche du combat, Pendennyss s’élança à cheval, donna un dernier soupir à son épouse absente, et faisant un violent effort pour l’arracher en quelque sorte de son cœur, il fut dès ce moment tout entier à son devoir et à son pays.

Qui ne connaît les détails de cette journée funeste, pendant laquelle les destinées de l’Europe furent un moment en balance ? D’un côté, l’attaque conduite avec le sang-froid du désespoir, dirigée par une expérience consommée ; de l’autre, la défense soutenue avec une persévérance incroyable et un courage sans exemple.

Dans la soirée du 18, Pendennyss, qui était à cheval depuis le lever de l’aurore, mit pied à terre, après avoir reçu l’ordre d’abandonner la poursuite aux troupes prussiennes qui n’avaient pas encore donné. Il éprouvait cet accablement qui succède d’ordinaire à une agitation trop vive, et son premier mouvement fut de remercier le Ciel que cette lutte sanglante fût enfin terminée. L’image d’Émilie vint planer alors au-dessus de ces scènes de carnage qu’il avait toujours sous les yeux ; il respira plus librement, et il put songer au bonheur qui l’attendait à son retour.

— Je suis envoyé vers le colonel du régiment de dragons, dit un courrier en mauvais anglais à un soldat occupé à étriller le