Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/89

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vit par un coup d’œil de son père qu’il fallait qu’il adressât au moins quelques mots à Denbigh, qui avait eu la délicatesse de se retirer dans l’embrasure de la fenêtre la plus éloignée. Jarvis alla l’y trouver, et Mrs Wilson ne put s’empêcher de jeter un regard sur eux. Denbigh saluait avec un sourire bienveillant. — C’en est assez, pensa la veuve, ce n’était pas lui qui était offensé, mais celui qui a commandé aux hommes de s’aimer les uns les autres, et il ne pouvait pas s’arroger le droit de pardonner : sa conduite est généreuse et conséquente. On ne fit plus allusion à ce sujet, et Denbigh parut l’avoir totalement oublié. Jane soupira doucement en souhaitant que le colonel ne fût pas duelliste.

Plusieurs jours se passèrent avant que les dames du Doyenné pussent assez se consoler de l’affront que Jarvis avait fait à leur famille pour se décider à reparaître au château ; mais comme le temps guérit les blessures les plus cruelles, tout fut bientôt remisé sur le même pied qu’auparavant. La mort de Digby vint rappeler aux Moseley, d’une manière bien pénible, cette affaire désagréable, et Jarvis lui-même, en l’apprenant, se sentit mal à l’aise sous plus d’un rapport.

Chatterton, qui n’avait pas tardé à avouer à ses amis son attachement pour sa cousine, n’avait pas encore osé se déclarer ouvertement. Jusqu’à ce qu’il eût obtenu la place brillante qu’avait occupée son père, il ne se trouvait pas assez de fortune pour procurer à Émilie l’aisance et le rang dont elle devait jouir dans le monde, et il employait le crédit de tous ses amis pour parvenir à ce double but. Le désir de pourvoir à l’établissement de ses sœurs était encore augmenté par l’ardeur d’une passion qui avait atteint son plus haut degré, et le jeune pair, qui n’osait laisser le champ libre à un rival aussi dangereux que Denbigh, même pour solliciter un avancement qui pouvait combler tous ses vœux, attendait avec anxiété la décision du ministère.

Une lettre d’un de ses amis lui apprit qu’un rival puissamment protégé était sur le point d’obtenir la place qu’il sollicitait, et qu’il avait perdu tout espoir de pouvoir l’obliger. Chatterton fut au désespoir.

Le lendemain il reçut une seconde lettre de son ami, lui annonçant sa nomination à la place que, la veille encore, il désespérait d’obtenir.

« Je ne puis deviner, lui écrivait-il, la cause d’une révolution