Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/118

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tinua Ludlow, mais j’ai été assez faible pour permettre au marin inconnu de quitter avec moi mon vaisseau, et lorsque j’ai voulu y retourner, il a trouvé le moyen de désarmer mes gens et de me faire prisonnier.

— Et cependant, pour un captif, vous êtes passablement libre, ajouta l’étranger toujours avec ironie.

— À quoi sert la liberté quand on n’a pas les moyens d’en faire usage ? La mer me sépare de mon vaisseau, et les fidèles matelots qui conduisaient ma chaloupe sont dans les fers. J’ai été moi-même peu surveillé ; mais quoiqu’il m’eût été défendu d’approcher de certains lieux, j’en ai vu assez pour n’avoir aucun doute sur le caractère de ceux que l’alderman reçoit chez lui.

— Vous voudriez dire, et sa nièce aussi, Ludlow ?

— Je ne veux rien dire qui soit contraire au respect que je porte à Alida de Barberie. J’avoue qu’une idée affreuse me tourmentait ; mais je vois mon erreur, et je me repens d’avoir mis si peu de réserve dans ma conduite.

— Alors il ne nous reste plus qu’à reprendre notre marché, dit l’étranger en s’asseyant tranquillement devant un ballot ouvert, tandis que Ludlow et la jeune fille se regardaient dans une muette surprise. Il est fort amusant de montrer des trésors prohibés à un officier de la reine ; ce sera peut-être un moyen de gagner la faveur royale. Nous en étions restés aux velours et aux lagunes de Venise. En voilà un d’une couleur et d’une qualité digne de servir d’habit au doge lui-même le jour de ses fiançailles avec la mer. Nous autres habitants de l’Océan, nous regardons cette cérémonie comme une preuve que l’hymen ne nous oubliera pas, quoique nous désertions ses autels. Trouvez-vous que je rende justice au métier, capitaine Ludlow ? ou bien êtes-vous entièrement dévoué à Neptune, et vous bornez-vous à envoyer vos soupirs à Vénus quand vous êtes en mer ? Ma foi, si l’humidité et l’air imprégné de sel de l’Océan rouillent la chaîne dorée, c’est la faute d’une nature cruelle ! Ah ! voilà…

Un sifflet aigu résonna à travers les arbrisseaux, et l’orateur devint muet. Jetant ses marchandises avec indifférence sur le ballot, il se leva et parut hésiter. Pendant toute son entrevue avec Ludlow, l’étranger avait conservé un air doux, parfois joyeux, et n’avait jamais partagé le ressentiment que le commandant avait si clairement manifesté. Ses manières dénotèrent alors