Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/213

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lorsque la rafale dont je parle l’atteignit, que pouvait-elle faire de mieux que de voguer devant elle ? et comme d’autres, qui étaient plus sévères dans leur morale, firent parler contre elle la religion et ce qu’elles avaient appris dans leur catéchisme, elle s’éloigna du vent de toute honnête société ! C’était une jeune fille bien construite et dont le talon était léger, et je ne suis pas trop certain que mistress Trysail pût se dire aujourd’hui femme d’un officier de la reine, si cette jeune étourdie avait su comment porter ses voiles dans la compagnie de ses supérieurs.

Le digne maître tira de sa poitrine un son creux, qui peut-être était un soupir de marin, mais qui ressemblait beaucoup plus au vent du nord qu’au zéphyr, et il eut recours à la petite boîte de fer dans laquelle il puisait des consolations.

— J’ai déjà entendu raconter cette histoire, dit Ludlow, qui avait servi comme midshipman sur le même vaisseau, et même sous les ordres de celui qui était aujourd’hui son subordonné. Mais, suivant tous les rapports, vous avez gagné au change ; chacun fait l’éloge de votre digne compagne.

— Il n’y a pas de doute, il n’y a pas de doute. Je défie aucun homme du vaisseau de m’accuser de calomnie, même envers ma propre femme, sur laquelle j’ai cependant le droit légal de parler franchement. Je ne me plains pas, et je suis un mari heureux sur mer ; j’espère pieusement que mistress Trysail sait se soumettre à son devoir pendant mon absence ! Je suppose que vous voyez, Monsieur, que le brigantin a déchargé ses vergues, et prépare son amarre de misaine.

Ludlow, dont les yeux ne quittaient pas le brigantin, fit signe qu’il s’en apercevait ; et le maître s’étant assuré que chaque voile de la Coquette remplissait son devoir, continua :

— La nuit devient épaisse, et nous aurons besoin de tous nos yeux pour surveiller le coquin lorsqu’il changera de situation… Mais, comme je disais, si le commandant de ce brigantin est trop vain de la beauté de son vaisseau, il peut le perdre par orgueil ! Cet homme a le caractère désespéré d’un corsaire, quoique, pour ma part, je ne puisse pas dire que j’aie une très-mauvaise opinion de ces gens-là. Le commerce me semble une sorte de chasse entre l’esprit d’un homme et l’esprit d’un autre, et le moins habile doit être content de tomber sous le vent. Lorsque cela en vient à la question du revenu, celui qui s’échappe est heureux, et celui qui