Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/83

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parmi les hommes, que ceux qui réussissent le mieux à détruire ces barrières manquent rarement de regretter leur triomphe ; et celui qui aime véritablement ne se réjouit pas longtemps d’une inconséquence de la part de l’objet de ses affections, même lorsqu’elle a eu lieu en sa faveur. Maîtrisé par ce sentiment louable, Ludlow, quoique humilié sous quelque rapport du tour que cette affaire avait pris, se sentit soulagé d’un poids de doute auquel les expressions extraordinaires de la lettre qu’il croyait avoir été écrite par sa maîtresse avaient donné naissance. Sa compagne lisait dans son esprit, qui était aussi franc que le visage d’un marin peut l’être ; et quoique intérieurement flattée de retrouver sa première place dans sa considération, elle était blessée de ce qu’il eût soupçonné sa réserve. Elle tenait toujours l’inexplicable billet, et ses regards en parcouraient involontairement les lignes. Tout à coup une pensée subite parut frapper son esprit, et, rendant le papier, elle dit froidement :

— Le capitaine Ludlow devrait mieux reconnaître ses correspondantes ; je serais bien trompée si cette lettre était la première qui eût été écrite par la même main.

Le jeune homme rougit, et cacha pendant un instant son visage dans ses mains.

— Vous admettez la vérité de mes soupçons, et vous ne me trouverez pas injuste lorsque j’ajouterai que désormais…

— Écoutez-moi, Alida, s’écria le jeune homme en interrompant ainsi une décision qu’il craignait ; écoutez, au nom du ciel, et vous allez connaître la vérité. Je confesse que ce n’est pas la première qui fut écrite par la même main, peut-être devrais-je ajouter dans le même style. Mais je jure sur l’honneur d’un loyal officier que, jusqu’à ce que les circonstances me portassent à me croire si favorisé, si heureux…

— Je vous comprends, Monsieur ; c’étaient des missives anonymes, jusqu’à ce que vous trouvâtes bon de m’en croire l’auteur. Ludlow ! Ludlow ! combien vous avez mal jugé une femme que vous prétendez aimer !

— Songez, Alida, que mon état ne me permet pas d’étudier tous les usages d’une société dont il m’éloigne sans cesse, et, chérissant, comme je le fais, ma noble profession, n’était-il pas naturel de penser qu’une autre pouvait la voir avec les mêmes yeux que moi ? Mais puisque vous désavouez cette lettre… Non, votre dés-