gants. Presque tout le monde peut céder aux ordres d’un droit de convention, mais peu de personnes savent se décider dans les cas nouveaux et difficiles. Il y a souvent un mystère dans la vertu, tandis que l’hypocrisie n’en est qu’une misérable imitation qui s’efforce de couvrir ses œuvres du voile transparent de la déception. La vertu, en quelque sorte, ressemble à la sublimité de la vérité infaillible.
Ainsi les hommes trop versés dans les intérêts de la vie sont constamment dupes d’eux-mêmes quand ils se trouvent en contact avec des gens simples et intelligents. L’expérience de chaque jour prouve que, de même qu’il n’existe pas de renommée permanente qui ne soit fondée sur la vertu, il n’y a de politique sûre que celle qui est fondée sur le bien de tous. Des esprits vulgaires peuvent régler les affaires d’un État tant qu’ils se bornent à des intérêts vulgaires ; mais malheur au peuple qui, dans de grandes occasions, ne met pas sa confiance dans des hommes honnêtes, nobles, sages et philanthropes ! Plus de la moitié de la misère qui a déshonoré la civilisation et qui en a retardé les progrès vient de ce qu’on a négligé d’employer les grands hommes que les grandes occasions font toujours naître.
Voulant faire apprécier les vices du système politique de Venise, notre plume s’est écartée de son sujet, puisque l’application de la morale de notre histoire doit se faire d’après l’échelle familière de ses incidents particuliers. On a déjà vu que certaines clefs importantes de la prison avaient été confiées à Gelsomina. Les gardiens rusés de cette geôle avaient eu leurs motifs pour lui accorder cette confiance ; ils avaient calculé qu’elle exécuterait leurs ordres, et ne s’étaient pas douté qu’elle fût capable d’écouter les conseils d’une âme généreuse au point de se servir de ces clefs d’une manière contraire à leurs propres vues. L’usage auquel elle allait les employer en ce moment prouvait que ces gardiens, dont l’un était son propre père, n’avaient pas su bien apprécier la force d’esprit d’une jeune fille simple et innocente.
Munie des clefs en question, Gelsomina prit une lampe et monta, du mezzanino[1] où elle demeurait, au premier étage de l’édifice, au lieu de descendre dans la cour. Elle ouvrit différentes portes, et traversa plusieurs sombres corridors avec la confiance
- ↑ Étage correspondant à l’entresol.