Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/317

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— Si tu avais vu la beauté et l’innocence de cette dame, Annina, tu ne parlerais pas ainsi.

— Bienheureux san Teodoro ! qu’y a-t-il de plus beau que le vice ? C’est l’artifice le plus ordinaire du diable pour tromper de fragiles pécheurs. Ton confesseur a dû te le dire, Gelsomina, ou ses discours sont moins sérieux que ceux du mien.

— Mais pourquoi une femme menant une telle vie serait-elle entrée dans la prison ?

— Oh ! elles avaient de bonnes raisons pour craindre ces Dalmates, je n’en doute nullement. — Mais je puis t’en dire davantage sur les dames que tu as reçues avec tant de péril pour ta réputation. Il y a dans Venise des femmes qui font honte à leur sexe de plus d’une manière. Celle qui se donne le nom de Florinda est particulièrement connue pour frauder les revenus de Saint-Marc. Elle a reçu en présent du duc napolitain du vin de ses montagnes de Calabre, et, voulant tenter mon honnêteté, elle m’a offert de me le vendre, s’imaginant qu’une fille comme moi oublierait son devoir au point de l’aider à frauder la république.

— Est-il possible que cela soit vrai, Annina ?

— Quel motif puis-je avoir pour te tromper ? Ne sommes-nous pas filles des deux sœurs ? Et quoique mes affaires sur le Lido m’empêchent de te voir bien souvent, l’affection n’est-elle pas naturelle entre nous ? Je me suis adressée aux autorités ; les vins ont été saisis, et les prétendues nobles dames ont été obligées de se cacher le jour même. On croit qu’elles désirent s’enfuir de la ville avec leur débauché Napolitain. Forcées de se réfugier quelque part, elles t’ont chargée de l’informer de l’endroit où il pourra les trouver pour venir à leur aide.

— Et pourquoi es-tu ici, Annina ?

— Je suis surprise que tu ne m’aies pas fait cette question plus tôt. — Gino, gondolier de don Camillo, m’a fait la cour longtemps sans que j’aie voulu l’écouter, et quand cette Florinda s’est récriée sur ce que j’avais fait connaître sa fraude aux autorités, — ce que devait faire toute fille honnête de Venise. — il a conseillé à son maître de s’emparer de ma personne, partie par vengeance, partie dans le vain espoir de me forcer à rétracter la plainte que j’avais faite. — Tu as entendu parler de l’audace et de la violence de ces cavaliers quand ils sont contrariés dans leurs volontés !