Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/51

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CHAPITRE IV.


Cela me fait penser que le monde est plein de difficultés, et que ma fortune descend avec le courant.
Shakspeare. Richard II.


Bien que la gaieté régnât au milieu des places de Venise, le reste de la ville était silencieux comme le tombeau. Une ville dans laquelle le pied d’un cheval ou le bruit d’une roue ne sont jamais entendus a un caractère particulier : mais la forme du gouvernement entier, et la longue habitude de prudence contractée par le peuple, donnaient de la gravité à l’aspect le plus léger. Cependant il y avait des temps et des lieux où l’effervescence et l’étourderie de la jeunesse trouvaient l’occasion de se montrer, et ces occasions n’étaient pas rares. Mais lorsque les habitants de Venise se voyaient éloignés de la tentation et même de l’espèce d’appui qu’on se prête mutuellement en société, leur caractère devenait sombre comme leur ville.

Tel était l’état de presque toute la cité de Venise, lorsque la scène que nous avons décrite dans le dernier chapitre eut lieu sur la Piazza de Saint-Marc. La lune était assez haute pour que sa lumière tombât entre les rangées de murailles qui touchaient çà et là la surface de l’eau, à laquelle elle communiquait une lueur tremblante, tandis que les dômes et les tours restaient sans cette clarté, dans un solennel repos. Par intervalles, la façade d’un palais recevait les rayons de la lune sur ses pesantes corniches et sur ses colonnes travaillées ; la triste tranquillité de l’intérieur présentait alors un contraste frappant avec l’architecture du dehors. Notre histoire nous conduit maintenant dans l’une de ces demeures patriciennes de première classe.