Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/112

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n’est pas aisé pour un baron et un abbé, un laïque et un prêtre, de voir avec les mêmes yeux. Je voudrais que cette question sur la propriété de Duerckheim fût loyalement terminée, afin de vivre toujours en bons voisins dans la vallée. Nos montagnes ne sont point entourées de larges plaines comme on en voit de l’autre côté du fleuve, et nous ne devons pas changer en un champ de bataille le petit morceau de terrain uni que nous possédons. Par la messe ! saint abbé, tu ferais bien de congédier les troupes de l’électeur, et de terminer cette affaire entre nous par les arguments de la raison et de l’amitié.

— Si cela devait être ma dernière prière avant que je ne passe à la jouissance d’une sainte vie, prince Emich, ton souhait n’aurait pas besoin d’appui. N’avons-nous pas longtemps consenti à déférer la question au Saint Père, ou à toute autre autorité religieuse capable de prendre connaissance d’une affaire aussi difficile, de crainte que cet arbitrage ne convînt pas à notre mission apostolique ?

— En vérité, mein herr Wilhelm, vous êtes trop avide pour un homme dont le devoir est de mortifier la chair. Est-il convenable, je vous le demande, qu’un bon nombre de vaillants et laborieux bourgeois soient conduits par des têtes tendues dans ces temps de guerre, comme autant de vieilles femmes qui, ayant vécu dans le bavardage et la vanité, les caquets et les médisances, espèrent que leurs péchés féminins seront cachés derrière la robe d’un moine ? Abandonnons donc cette question de Duerckheim, avec certains autres droits, et les saints du paradis ne vivront pas en meilleure harmonie que nous.

— En vérité, seigneur Emich, les moyens de nous conduire à l’état de béatitude dont tu parles n’ont pas été oubliés, puisque tu as fait un purgatoire de cette vallée depuis plusieurs années.

— Par la messe, abbé, tes remarques deviennent de nouveau inconvenantes ! Qu’ai-je fait pour attirer ce scandale dans le voisinage, si ce n’est d’avoir eu un peu de prévoyance pour mes intérêts ? N’as-tu pas ouvert les portes de ton abbaye pour y recevoir des hommes irréligieux et armés ? Tes oreilles ne sont-elles pas à chaque instant blessées par des jurements profanes, et tes regards souillés par des objets qui devraient être inconnus dans un saint lieu ? Ne suppose pas que j’ignore vos intentions secrètes. Les troupes alliées du duc Frédéric ne sont-elles pas, au moment où je te parle, cachées dans tes cloîtres ?