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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/113

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— Nous avons une juste prudence pour nos droits et la dignité de l’Église, répondit Boniface qui cherchait à peine à cacher le sourire méprisant que cette question avait excité chez lui.

— Crois-moi, abbé de Limbourg, au lieu d’être l’ennemi de notre sainte religion, je suis un de ses plus zélés partisans ; sans cela j’aurais rejoint depuis longtemps les prosélytes du moine Luther, et pris les armes ouvertement contre toi.

— Cela aurait mieux valu que de prier le jour devant nos autels et tramer notre perte pendant la nuit.

— Je jure, par la vie de l’empereur, que tu me pousses à bout, moine hautain.

Le bruit causé par l’abbé Latouche et le père Siegfried, attira un instant l’attention des principaux personnages sur les deux combattants secondaires. Après une dispute d’abord courtoise, la conversation était devenue si bruyante et si animée que chacun essayait vainement d’élever la voix de manière à couvrir celle de son adversaire. Bientôt M. Latouche, dont la tête s’égarait, et qui n’avait maintenu sa place dans la débauche que par artifice, se jeta sur un sofa, essaya de parler encore, puis s’étendit, et sa tête pesante refusa de se lever de nouveau. Le père Siegfried contempla la retraite de son pétulant ennemi avec un sourire de démon, puis jeta un cri féroce qui fit tressaillir le jeune Berchthold, car c’était cette même voix que, depuis si peu de temps, il avait entendue chanter les louanges de Dieu. Mais les yeux voilés du moine et la pâleur de son visage annonçaient assez qu’il ne pouvait en supporter davantage. Après avoir regardé autour de lui avec tout l’idiotisme d’un ivrogne, il s’assit sur sa chaise, ferma les yeux, et tomba dans le sommeil profond que la nature, dans sa trop grande bonté, accorde à ceux qui abusent de ses dons.

L’abbé et le comte contemplèrent un instant, dans un morne silence, leurs seconds hors de combat. La chaleur de leur discussion et la colère qu’avait excitée en eux le souvenir de leurs torts réciproques avaient éloigné leur attention des progrès de la lutte, mais l’un et l’autre eurent alors un léger souvenir de la nature de ses résultats. Ce moment rappela chacun à son caractère, car ils étaient l’un et l’autre trop habitués à de pareilles scènes pour ne pas comprendre l’importance qu’il y avait à conserver sa présence d’esprit.