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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/150

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— Ce niais s’est joué de toi, père Siegfried, dit l’abbé au moine d’un ton de reproche ; il ose même oublier qu’il est en notre présence.

— Nous avons les moyens de le rappeler au respect aussi bien qu’au souvenir de ses engagements

— Tu as raison ; que la punition soit infligée. Mais arrêtez !

Pendant ce bref colloque entre les bénédictins, le père Siegfried toucha une corde, et un frère lai d’une taille athlétique se présenta. À un signal du moine, il posa sa main sur le bras de Gottlob, et il allait le conduire hors de la chambre, lorsqu’un nouveau signal du père Siegfried et les derniers mots de l’abbé l’engagèrent à s’arrêter.

Boniface appuya une joue sur sa main, et réfléchit longtemps au coup qu’il allait frapper. Les relations entre l’abbaye et le château, pour nous servir d’une expression diplomatique, étaient précisément dans cette fausse position où il devient presque aussi dangereux de reculer que d’avancer. Emprisonner un vassal du comte d’Hartenbourg, c’était amener les choses à un dénouement immédiat ; et cependant lui permettre de quitter le couvent, c’était priver la confrérie des moyens de tirer des informations qu’il était si important d’obtenir, et de prouver ce qui avait été le but de la débauche que nous avons décrite, dans un moment où il y avait si peu d’amitié réelle entre les buveurs. La précaution d’Emich avait détruit ce plan si bien conçu, et le résultat de cette expérience avait été trop coûteux pour qu’elle fût répétée. Il y avait aussi quelque danger à permettre à Gottlob de retourner à Hartenbourg, car les espérances et l’esprit hostile de l’abbaye avaient été trop imprudemment exposés à ce rustre, et il était certain qu’il raconterait ce qui lui était arrivé. Il était utile aussi de montrer une apparence de confiance, bien qu’il en existât si peu en réalité ; car le moine savait fort bien qu’à la place de l’amitié son ombre servait encore à prévenir les éclats d’une guerre ouverte. Il avait des agents à Heidelberg, pressant l’électeur sur un point de la dernière importance pour le monastère, et il était nécessaire qu’Emich ne fût point conduit à quelque acte hostile avant que le résultat de cette mission ne fût connu. Enfin ces deux petites puissances étaient dans une position semblable à celle où se sont souvent trouvés des États plus considérables ; elles jouaient par instinct un rôle opposé à leur intérêt respectif, et cependant elles