Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelé. Il pénétra dans une de ces chambres étroites, consacrées au mystère, et qu’on appelait avec raison un cabinet, n’étant pas beaucoup plus grande et à peine mieux éclairée que l’appartement exigu auquel nous donnons ce nom de nos jours.

Lorsqu’il fut loin de tous les yeux, et débarrassé de la crainte des espions, le comte jeta son manteau, défit la boucle de son ceinturon, et se mit à son aise. Le bourgmestre s’assit sur un tabouret par déférence pour le rang de son compagnon, tandis que ce dernier, sans paraître remarquer cette action, se plaça sur la seule chaise que contenait le cabinet. Tous ceux qui ont fréquenté les Asiatiques et les Musulmans des côtes méridionales de la Méditerranée ont dû souvent remarquer le silence expressif et la manière dont ces derniers se regardent lorsqu’ils sont sur le point de faire ou de demander une confidence. Leur œil s’anime par degrés, les muscles de leur bouche se relâchent, jusqu’à ce que leur désir soit trahi par un sourire. C’est un des moyens employés par les hommes qui vivent sous un gouvernement despotique et dangereux, et lorsque les habitudes sociales sont mêlées de violence et de trahison, de s’assurer les uns les autres d’une protection secrète et d’une amitié à toute épreuve.

Il existe une sorte de franc-maçonnerie semblable dans toutes les conditions de la vie, lorsque des institutions sages et justes n’étendent point également leur manteau sur le faible et sur le puissant, suppléant par la majesté de la loi à la nécessité de ces appels furtifs à l’appui d’un ami ou d’un confident. Telle était, en quelque sorte, la nature de l’entrevue qui avait lieu entre Emich d’Hartenbourg et le bourgmestre de Duerckheim. Le comte posa d’abord sa large main osseuse sur le genou d’Heinrich, qu’il serra jusqu’à ce que ses doigts de fer fussent à peu près enterrés dans cette énorme partie charnue ; puis chacun tourna sa tête vers son compagnon, se regardant de côté, comme s’ils comprenaient mutuellement la signification de cette coquetterie silencieuse. Cependant, malgré ce rapport apparent de pensées et de confiance, les manières et l’air de chacun d’eux se distinguaient par le caractère personnel et la position sociale de l’individu. Les regards du baron étaient plus décidés et parlaient plus ouvertement que ceux du bourgeois, tandis que le sourire de ce dernier paraissait comme un faible reflet de l’expression engageante du premier, plutôt que l’effet d’une impulsion intérieure.