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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/20

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l’humeur du diable ; car, pour lui faire entreprendre un ouvrage de cette nature, on lui avait persuadé qu’il s’agissait de bâtir une taverne, dans laquelle on boirait nécessairement une bonne quantité de vin du Rhin, breuvage qui trouble la raison et laisse l’âme sans soutien, exposée à toutes les tentations. Il semblerait par les légendes du Rhin que les moines surpassèrent en finesse l’ennemi du genre humain ; mais leur plus éclatant succès fut dans l’affaire en question. Complètement trompé par les artifices des hommes de Dieu, le père du mal se prêta au projet avec tant de zèle que l’abbaye et ses dépendances furent construites avec une incroyable promptitude, circonstance qu’ils prirent soin d’exploiter à leur avantage en l’attribuant à un miracle d’une émanation plus pure. Suivant tous les rapports, l’artifice fut si bien conduit, que, malgré sa réputation de finesse, le diable ne connut la véritable destination de l’édifice que lorsque la cloche de l’abbaye sonna les prières. Alors son indignation fut sans bornes, et il se rendit sur le roc qui porte son nom, dans l’intention de l’enlever dans les airs au-dessus de la chapelle, et d’immoler par sa chute les moines et leur autel à sa vengeance. Mais la pierre était trop bien enracinée pour être déplacée même par le diable, et il fut enfin forcé par les prières des dévots qui étaient alors sur leur champ de bataille, d’après leur manière de combattre, d’abandonner ce pays, honteux, confus et furieux. On montre aux curieux certaines marques empreintes sur le roc, qui prouvent les violents efforts de Satan, et entre autres celle de sa personne, lorsqu’il s’assit sur la pierre, fatigué de ses efforts inutiles ; la plus drôle est une espèce de rainure qui montre évidemment la position qu’avait sa queue tandis qu’il ruminait son chagrin sur ce siège un peu dur.

Nous étions au pied de la seconde montagne lorsque Christian Kinzel termina son explication.

— Telles sont donc les traditions de Duerckheim concernant la Pierre du Diable, dis-je en mesurant de l’œil le chemin escarpé.

— Voilà ce qu’on dit dans le pays, mein Herr, répondit le tailleur ; mais il y a des gens qui ne le croient pas.

Mon petit compagnon se mit à rire, et ses yeux brillaient de plaisir.

— Allons, grimpons ! s’écria-t-il encore ; allons voir le Teufelstein !