Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/21

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Nous arrivâmes bientôt dans le Camp ; il était placé sur une partie avancée de la montagne, sorte de bastion naturel, et il était protégé de tous côtés, excepté par celui où il était joint à la masse du rocher, par des descentes trop rapides pour être tentées avec prudence. On y voyait les ruines d’une muraille circulaire d’une demi-lieue détendue, dont les pierres étaient répandues confusément en piles autour de l’extérieur, et dans l’intérieur plusieurs vestiges de fondations et de murs. Toute la surface était couverte de jeunes cèdres au feuillage mélancolique. Sur le côté qui fait face aux montagnes voisines, le Camp avait été évidemment protégé par un fossé.

Le Teufelstein était à mille pieds du Camp : c’est un roc nu, usé par le temps, et qui montre sa tête chauve, sur un point élevé, parmi les montagnes les plus avancées. Je m’assis sur le sommet le plus élevé, et pendant un moment j’oubliai ma fatigue.

On découvrait les plaines du Palatinat aussi loin que la vue pouvait s’étendre. Çà et là brillaient les eaux du Rhin et du Necker, comme des feuilles d’argent parmi la verdure des champs, puis les clochers des villes de Manheim, Spire et Worms, et d’innombrables villages ; les maisons de campagne étaient aussi nombreuses dans cette perspective que les tombes sur la voie Appienne. Quelques ruines grisâtres semblaient collées sur les montagnes de Baden et de Darmstadt ; on apercevait aussi le château d’Heidelberg, dans son romantique vallon ; il était en même temps sombre et magnifique. Ce paysage était allemand, et dans tout ce qu’il devait à l’art il était légèrement gothique. Il lui manquait la teinte ardente, le dessin capricieux et séduisant des belles vues de l’Italie, la grandeur des vallées et des glaciers de la Suisse ; mais c’était un admirable tableau de la fertilité et de l’industrie embellie par une foule d’objets utiles.

Il était tout simple qu’une personne ainsi placée se crût environnée de tous les éloquents souvenirs des progrès de la civilisation, des infirmités, de l’accroissement et de l’ambition de l’espèce humaine. Le roc me rappelait des siècles de fanatiques superstitions et de honteuse ignorance ; le temps où tout le pays était une vaste forêt que parcourait le chasseur, disputant aux animaux carnassiers la propriété de ses sauvages domaines. Cependant la noble créature portait l’image de Dieu, et quelquefois un esprit supérieur perçait les ténèbres de son siècle, saisissant quelques