Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/320

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— Beaucoup trop, maître Frey, répondit Emich. Par mes pères ! vous avez parfaitement raison. Je vous dirai en confidence que cette intimité entre les deux abbés ne me plaît guère, et que ce qui me plaît encore moins, c’est de voir le révérend Boniface se pavaner ici sur son trône, comme s’il était encore dans notre vallée. Je crains, bourgmestre, que nous ne nous soyons embarqués trop légèrement dans cette affaire.

— Si vous pouvez tenir ce langage, vous, noble Emich, que doit donc dire un homme qui non seulement court les mêmes risques pour sa personne, mais qui voit sa femme et son enfant également exposés ! Il aurait mieux valu convoiter moins ce qui appartenait au ciel, et nous contenter des avantages que nous avions sur la terre. Remarquez-vous, noble comte, le regard amical que Boniface jette de temps en temps sur nous ?

— Oui, oui, je m’en aperçois, Heinrich ; mais paix ! nous en apprendrons davantage après les vêpres.

Dans ce moment, la voix sonore qui avait déjà produit tant d’effet, se fit entendre de nouveau. C’était un chanteur que Boniface, qui n’avait, plus besoin de ses services, avait présenté au couvent d’Einsiedlen, certain qu’on lui en saurait beaucoup de gré ; car ces communautés, où les moines passaient leur vie à célébrer les offices de l’Église, c’était plus souvent par la perfection de l’exécution musicale, par la richesse des ornements, ou par la pompe des cérémonies, qu’elles cherchaient à l’emporter l’une sur l’autre, que par la ferveur de leur zèle ou par la pratique d’une entière abnégation. À la fin de l’office, un frère s’approcha du, père Arnolph, et lui parla tout bas. Celui-ci se rendit à la sacristie, suivi de toute sa troupe ; car il était défendu, même à la tremblante Meta, de prendre un instant de repos avant qu’un autre devoir, non moins important, eût été accompli.

La sacristie était vide, et ils attendirent en silence que les sons de l’orgue, en s’éteignant, annonçassent la fin de la procession des moines. Après quelque délai, une porte s’ouvrit, et l’abbé d’Einsiedlen parut, accompagné de Boniface. Il n’y avait avec eux que le trésorier de l’abbaye, et la porte fut fermée pour que nul œil profane ne vît ce qui allait se passer.

— Tu es Emich, comte d’Hartenbourg-Leiningen, dit le prélat qui, habitué à discerner ses égaux, avait du premier coup d’œil reconnu le comte sous ses vêtements vulgaires ; — tu viens faire