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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/326

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— Étiez-vous bien ensemble autrefois ? ou vos malheurs présents viennent-ils d’une ancienne inimitié ?

— Que vous êtes heureux, pieux Rudiger, d’être enfermé au milieu de vos neiges et de vos montagnes, hors de l’atteinte du bras des nobles et de leur ambition ! Limbourg et l’avide maison de Leiningen n’ont presque jamais connu la paix depuis que notre abbaye est fondée. Ces turbulents barons remplissaient en quelque sorte, par rapport à notre communauté, le rôle que l’esprit de ténèbres joue dans le monde moral.

— Et cependant je crains que le coup le plus fatal que nous sommes destinés à recevoir ne vienne d’un d’entre nous ! Si tout ce que le bruit publie et les missives des évêques nous révèlent est vrai, ce schisme de Luther nous fera un mal irréparable.

Boniface, dont l’esprit pénétrait plus avant dans l’avenir que celui de la plupart de ses frères, écouta cette remarque d’un air sombre ; et il réfléchit pendant un instant au tableau que sa vive imagination lui présentait, tandis que son compagnon examinait avec un profond intérêt le jeu des traits de son large visage.

— Vous avez raison, prince abbé, répondit enfin Boniface. Pour nous, le passé et l’avenir sont remplis de leçons instructives, le tout est de les faire tourner à notre avantage. Tout ce que nous savons de la terre prouve que toute chose physique retourne à ses premiers éléments, lorsque l’objet de sa création a été accompli. L’arbre retombe sur la terre qui a nourri ses racines, le roc s’écroule et devient semblable au sable dont il fut formé, et l’homme lui-même revient à la poussière à laquelle Dieu avait donné la vie. Pouvons-nous espérer alors que nos abbayes, ou même l’Église dans sa présente organisation temporelle, dure à jamais ?

— Vous avez bien fait, bon Boniface, d’ajouter le mot temporel, car si le corps périt, l’âme reste, et l’essence de notre communion est dans son caractère spirituel.

— Écoutez, révérend et noble Ludiger : allez demander à Luther toutes les subtilités de sa croyance sur ce point, et il vous dira qu’il croit à la transmigration des âmes, qu’il conserve ce caractère spirituel, mais revêtu d’une forme nouvelle, et que, tandis qu’il condamne l’ancien corps à la tombe, il ôte seulement à la partie impérissable le poids d’un fardeau devenu trop lourd à porter.