Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/346

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pas de la politique nécessaire à un homme de son rang, et aux habitudes d’un sage gouvernement.

L’abbé sourit de manière à prouver une bonne intelligence entre lui et le chevalier. Ils parlèrent ensuite secrètement et avec chaleur pendant quelque temps, faisant signe par leurs regards à M. Latouche de venir prendre part à leur entretien. Pendant ce temps la conversation devint générale entre les autres convives.

— J’ai été fâché d’apprendre, révérend bénédictin, dit Emich en évitant les regards de Boniface, et en s’adressant à un des religieux d’Einsiedlen, que vous ayez refusé des messes pour le salut de l’âme d’un homme qui a péri dans cette malheureuse dispute qui nous a procuré le plaisir de vous voir. J’aimais le jeune homme, et j’agirais libéralement avec ceux qui l’assisteraient dans ce moment terrible.

— Cette affaire a-t-elle été exposée devant ceux qui ont le droit de décider ? demanda le moine, montrant par la direction de ses yeux qu’il voulait parler de son supérieur.

— On m’a dit qu’on l’avait fait, et d’une manière touchante, mais sans succès ; j’espère qu’il n’y a point eu d’interposition hostile dans cette affaire ; le salut d’une âme en dépend, c’est une matière bien délicate.

— Je ne connais que le père du mal lui-même qui puisse être ennemi des âmes ! répondit le moine avec une honnête surprise. Quant à nous, notre plus grand bonheur est d’être utiles dans de semblables occasions, et particulièrement lorsque la demande est faite par un ami du défunt digne d’une aussi haute faveur.

— Appelez-vous dignes de ses faveurs ceux qui défient l’Église, qui renversent les autels, et qui viennent dans le temple à main armée ? dit Boniface d’une voix sombre et ferme.

— Révérend abbé !

— Laissez-le donner carrière à son humeur, dit Emich avec fierté. Celui qui n’a plus d’abri peut bien sentir de temps en temps sa bile s’émouvoir. J’aurais voulu que nous fussions amis, Boniface, et cela devrait être ainsi après notre traité solennel, et toutes les réparations auxquelles nous avons consenti ; mais le désir de dominer ne vous abandonne pas, il me semble, même dans l’exil.

— Vous vous trompez, en pensant que j’oublierai ma dignité