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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/354

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prières. La foi religieuse était active en elle, bien que l’imagination sommeillât ; car rien ne pouvait être plus différent que les illusions de l’une et les profondes convictions de l’autre, et il lui était possible de trouver des consolations à son chagrin en se reportant, avec une calme et chrétienne espérance, au-delà des intérêts de la vie.

Les sentiments et les émotions d’Ulrike ne différaient de ceux de son amie que dans leur degré d’énergie et dans cette circonstance que toute sa sollicitude maternelle était dirigée sur un objet vivant. Mais Ulrike, bonne, sincère et d’une grande sensibilité, éprouvait une vive douleur de la mort de Berchthold ; n’eût-il été que l’enfant de Lottchen, elle n’aurait pu être indifférente pour lui ; mais habituée, comme elle l’était depuis des années, à songer à son union avec Meta, elle ressentait sa perte presque autant que s’il eût été son propre fils.

Il n’en était pas ainsi d’Heinrich. Le secours qu’il avait reçu de Berchthold pendant l’assaut avait gagné son estime, car la sympathie que les braves éprouvent les uns pour les autres est des plus fortes. Mais le bourgmestre ne s’était pas complu toute sa vie dans l’amour des biens de ce monde pour renoncer subitement à cette passion incurable, grâces à la seule impulsion d’un sentiment généreux. Il eût volontiers donné une faible part de ces biens si chéris au jeune homme, mais lui accorder Meta était à ses yeux lui abandonner le tout ; et, pour nous servir d’une comparaison en harmonie avec ses idées habituelles, il lui semblait que c’était prêter de l’or sans intérêts que de donner Meta à un mari sans fortune. Il y a des hommes qui accumulent pour des avantages accidentels à la richesse, d’autres amassent poussés par l’aiguillon d’une passion abstraite et presque inexplicable, tandis que d’autres encore entassent des monceaux les uns sur les autres, absolument comme les enfants font des boules de neige ; et leur jouissance consiste à admirer la masse énorme qui s’est réunie par leurs soins. Heinrich appartenait à cette dernière classe ; il n’en avait pas moins de goût pour les résultats généraux de la richesse : semblable aux hommes qui considèrent l’argent comme une fin et non comme un moyen, il avait formé le plan de doubler la masse de ses capitaux par le mariage de sa fille, et il regardait la réussite de ce projet comme le coup le plus heureux et le plus grand d’une existence fortunée. Cependant Heinrich Frey avait ses mo-