Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— La demeure a ses habitants, maître Frey, dit Emich gravement, mais du ton d’un homme résolu à combattre pour ses droits ; nous allons voir bientôt s’ils sont disposés à reconnaître la souveraineté de leur seigneur féodal.

Sans attendre une réponse, le comte, en dépit de lui-même, murmura un Ave et monta d’un pas brusque jusqu’au sommet. Son premier regard fut rapide, inquiet et méfiant ; mais il ne vit rien de surnaturel. Le roc nu du Teufelstein reposait dans l’ancien lit où il avait probablement été jeté par quelque révolution de la terre quelque mille ans auparavant, gris, solitaire, usé par le temps comme il l’est aujourd’hui. La terre gazonnée ne laissait pas apercevoir la trace d’un pied ou d’un sabot sur toute sa surface, et les cèdres du camp abandonné soupiraient à la brise, sombres, mélancoliques et en harmonie avec les traditions qui leur prêtaient tant d’intérêt.

— Il n’y a rien ici, dit le comte en respirant péniblement, ce qu’il eût voulu attribuer à la difficulté de la montée.

— Seigneur d’Hartenbourg ! Dieu est ici et il est au milieu des montagnes que nous avons quittées dernièrement ; il est sur cette immense et belle plaine qui est au-dessous de nous, ainsi que dans votre forteresse !…

— Je vous en prie, bonne Ulrike, gardons ces maximes pour une autre fois ; nous sommes sur le point de détruire une sotte légende et des alarmes récentes.

Le comte fit un signe de la main, et la procession se remit en marche, se dirigeant vers l’ancienne porte du Camp. Les enfants de chœur recommencèrent leurs chants, et les chefs se remirent à la tête du cortége.

Il n’est pas nécessaire de dire qu’en approchant de l’Heidenmauer, dans cette occasion solennelle, tous les cœurs battirent : un homme réfléchi et sensible ne peut visiter un lieu comme celui-là sans y trouver un tableau de douce mélancolie. La certitude qu’il a devant les yeux les restes d’un ouvrage élevé par les mains d’êtres qui existaient tant de siècles avant lui, dans cette grande chaîne d’événements qui unit le passé au présent, et que son pied foule une terre qui a été également foulée par les Romains et par les Huns, suffit pour faire naître en lui une suite de pensées mêlées de merveilleux et de grandiose. Mais à ces sensations il fallait ajouter alors, pour ceux qui se rendaient dans ce lieu re-