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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/381

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le comte essayait avec politesse de prouver à l’abbé, par cette espèce de logique vaporeuse qui paraît être l’atmosphère poétique de la diplomatie, que les circonstances le justifiaient parfaitement de tout ce qu’il avait fait ; et l’abbé acquiesçait volontiers à tout ce que disait le comte, comme s’il ne sentait pas qu’il avait été une insigne dupe.

— Vous aurez soin de présenter cette action d’une manière convenable parmi vos amis, monsieur Latouche, conclut le baron, s’il en était question à la cour du monarque français. Que le ciel puisse le rendre bientôt aux vœux de son peuple ! c’est un prince juste, vaillant, loyal, et un bon gentilhomme.

— Je prendrai sur moi, noble et ingénieux Emich, de vous justifier pleinement, s’il est jamais question à la cour de France de vos talents militaires et de votre adroite politique. De plus, par la messe ! si nos jurisconsultes et nos hommes d’État veulent tenter de prouver à la société que vous avez eu tort dans cette immortelle entreprise, je vous promets de répondre à leurs raisons par une logique et une politique si saines, que je les couvrirai d’une éternelle honte et d’une éternelle confusion.

Comme M. Latouche prononça ces paroles avec un sourire équivoque, il se crut vengé amplement du rôle un peu niais qu’il avait joué dans les intrigues du comte. À une époque plus reculée, il racontait souvent cette histoire, et terminait toujours le récit par une allusion ironique et hardie au petit événement du Jaegerthal ; et c’était non seulement lui, mais encore une partie de ses auditeurs, qui en concluaient qu’il avait joué le meilleur rôle dans cette affaire. Satisfait de son succès, l’abbé prit les devants pour le raconter au chevalier, qui riait sous cape, tout en s’extasiant sur l’esprit de son ami ; ils marchèrent tous les deux en tête, de manière à laisser à Emich l’occasion de parler confidentiellement à son forestier.

— As-tu traité de l’affaire en question avec Heinrich, comme je te l’avais ordonné, mon enfant ? demanda le comte avec un air où se mêlaient l’autorité et l’affection, et dont il avait coutume de se servir avec Berchthold.

— Oui, Monseigneur, je l’ai fait vivement, comme mon cœur me le dictait, mais sans espoir de succès.

— Comment ! est-ce que ce sot bourgeois songe encore à sa fortune après ce qui s’est passé ? Lui as-tu dit l’intérêt que je