Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/39

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Gottlob, lorsque tu sauras que la personne assise n’était autre que l’anachorète des Cèdres. Notre connaissance commença alors dans ce lieu, et tu sais que depuis ce jour-là cette liaison n’a pas été détruite faute de visites de ma part à sa demeure.

Le gardeur de bestiaux fit quelques pas en silence ; puis, s’arrêtant tout à coup, il dit brusquement à son compagnon :

— C’était là ton secret, Berchthold, sur la manière dont s’est formée cette nouvelle amitié ?

— Il n’y en a pas d’autre. Je savais que tu étais esclave des préjugés du pays, et j’avais peur de perdre ta compagnie dans ces visites, si je t’avais, sans précaution, raconté toutes les circonstances de notre entrevue ; mais maintenant que tu connais l’anachorète, je ne crains pas ta désertion.

— Ne compte jamais sur de trop grands sacrifices de la part de tes amis, maître Berchthold ! L’esprit de l’homme est sujet à tant de caprices, il est si souvent guidé par la folie et tourmenté par tant de doutes lorsqu’il est question de la sûreté du corps, pour ne rien dire de celle de l’âme, qu’il n’est rien de plus téméraire que de compter avec trop de sécurité sur les sacrifices d’un ami.

— Tu connais le sentier, et tu peux retourner seul au hameau, si tu veux, dit le forestier sèchement et non sans sévérité.

— Il y a des situations où il est aussi difficile de reculer que d’avancer, fit observer Gottlob ; sans cela, Berchthold, je pourrais te prendre au mot, retourner auprès de ma vigilante mère, retrouver un bon souper et un lit qui est placé sous une image de la Vierge, une de saint Benoît, et une autre représentant monseigneur notre comte. Mais, par intérêt pour toi, je ne voudrais pas faire un pas en arrière.

— Comme tu voudras, dit le forestier, qui savait à quoi s’en tenir sur la crainte qu’éprouvait le vacher de rester seul dans ce lieu solitaire et redouté, et qui profitait de son avantage en doublant le pas avec une telle vitesse que Gottlob fût bientôt resté en arrière s’il n’eût imité la célérité de son compagnon.

— Tu pourras dire aux gens de lord Emich que tu m’as abandonné sur la montagne.

— Non, reprit Gottlob, faisant de nécessité vertu ; si j’agis ainsi, ou si je dis une pareille chose, qu’on fasse de moi un bénédictin, ou un abbé de Limbourg par-dessus le marché.

Tandis que le vacher, qui ressentait toutes les antipathies de