Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/77

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publiques du château, comme des oisifs qui attendent le moment du travail. Aucun d’eux n’était armé de toutes pièces, quoique celui-ci portât négligemment son morion, celui-là une armure, et que cet autre s’appuyât sur son arquebuse ou tînt sa pique à la main. Ici, un groupe s’exerçait gaiement avec ses armes défensives ; là, un bouffon amusait une foule de sérieux auditeurs de ses farces et de ses plaisanteries ; et le plus grand nombre buvait le vin du Rhin de leur seigneur. Quoique le Nouveau-Monde fût déjà découvert, la bonne portion de ce vin, qui est tombée depuis en notre partage, était encore entre les mains de ses véritables propriétaires, et la plante qui est depuis si longtemps connue sous le nom d’herbe de Virginie, et qui est devenue depuis une production de tant d’autres pays dans cet hémisphère, n’était pas d’un usage aussi général qu’aujourd’hui parmi les Allemands, sans cela nous aurions été obligé de donner le dernier trait à ce croquis en l’enveloppant de fumée. Malgré l’air d’indifférence et de négligence qui régnait dans les murs d’Hartenbourg, en dehors des portes, dans les tourelles et dans les tours avancées, on y remarquait une surveillance plus qu’habituelle. Si quelque observateur s’était trouvé là, il aurait vu, outre les sentinelles qui gardaient toujours les approches du château, plusieurs espions, au pied léger, dans les environs du château, dans le hameau, sur les rocs et dans le sentier ; et comme tous les yeux étaient tournés vers la vallée, dans la direction de Limbourg, il était évident que les nouvelles qu’on attendait devaient arriver de ce côté.

Le comte Emich avait fui les regards observateurs et s’était retiré dans un des salons où la grossière des meubles le disputait à la magnificence. L’appartement était éclairé par vingt torches, et d’autres signes annonçaient des visites prochaines. Il traversait la salle d’un pas lourd. Les soucis, ou du moins de sérieuses pensées, contractaient les muscles de son front sévère, qui portait les marques évidentes de l’usage du casque. Peut-être l’Allemagne est-elle la seule partie de la chrétienté, même aujourd’hui, où la profession d’homme de loi soit considérée comme plus honorable que celle des armes, la meilleure preuve d’une haute civilisation. Mais dans le siècle où se passe notre histoire, le gentilhomme qui n’appartenait pas à l’église, état qui comprenait presque tout le savoir de l’époque, était nécessairement soldat. Emich de Leiningen portait les armes, comme de raison, de même