Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/145

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Cette affreuse explication est due à ta noble franchise. J’aurais mieux fait de te révéler ce secret depuis longtemps.

Adelheid contempla dans un craintif silence le jeune soldat, car les efforts violents dont elle était témoin lui révélaient toutes les angoisses de son âme. Ses joues s’étaient couvertes d’une pâleur mortelle. Son visage semblait alors tirer sa beauté de son expression ; mais cette expression était mêlée de surprise, de tendresse et d’effroi. Sigismond s’aperçut que ses propres souffrances se communiquaient rapidement à sa compagne, et par un puissant effort il maîtrisa assez son émotion pour reprendre un peu d’empire sur lui-même.

— Cette explication a été trop cruellement ajournée, dit-il n’importe ce qu’il pourra m’en coûter, elle ne le sera pas plus longtemps. Tu ne m’accuseras plus d’un silence perfide ; mais rappelle-toi la fragilité du cœur humain, et songe que la pitié plutôt que le blâme accueille une faiblesse qui te causera peut-être autant de chagrin dans la suite, chère Adelheid, qu’elle me cause d’amers regrets. Je ne t’ai jamais caché que je suis né dans une classe qui partout en Europe est regardée comme inférieure à la tienne. À ce sujet, je suis plutôt fier qu’humilié, car tes distinctions de la noblesse ont souvent provoqué des comparaisons, et j’ai été en position de reconnaître que le hasard de la naissance n’accordait ni plus de talent, ni plus de courage, ni plus d’esprit. Quoique les inventions humaines puissent servir à déprécier les moins favorisés de la fortune, Dieu a fixé des limites aux besoins des hommes. Celui qui veut être plus illustre que ses semblables, et grand par des moyens qui ne sont pas naturels, doit nécessairement avilir les autres pour arriver à son but par des moyens différents. Il n’y a point de noblesse, et celui qui ne veut pas se soumettre à une infériorité qui n’existe qu’en idée, ne peut jamais être abaissé par un artifice aussi grossier. Quant au simple préjugé de la naissance et à l’importance qu’on y attache, soit fierté, soit philosophie, peut-être aussi par l’habitude de commander comme militaire à ceux qui se croient mes supérieurs comme hommes, je ne m’y suis jamais soumis. Peut-être la disgrâce honteuse qui m’accable est-elle cause que je juge plus légèrement qu’un autre de semblables matières.

— La disgrâce honteuse ! répéta Adelheid d’une voix presque étouffée. Ce mot est effrayant dans la bouche d’un homme dont toutes les paroles sont si vraies.